La star du rap grand public de la décennie 2010 est, incontestablement, Drake. Le Canadien a su accompagner la longue transformation du rap, d'ancienne musique de genre, à cœur battant de la variété internationale. Il l'a fait en abattant les barrières avec d'autres musiques, en usant abondamment des chants et, avec Future et quelques autres, en adoptant un style mélancolique ceint de sons synthétiques, que le critique Jeff Weiss et le rappeur Nocando ont baptisé un jour la Sad Robot Music. A la source du rap de Drake, cependant, il y eut d'autres personnes : il y eut Kanye West, dont le 808s & Heartbreak a été en quelque sorte la matrice de cette musique de robot triste ; et il y eut aussi Kid Cudi, qui a contribué à cet album, et sorti avant cela la mixtape manifeste A Kid Named Cudi.

KID CUDI - A Kid Named Cudi

Originaire de Cleveland, celui que l'état civil connaît sous le nom de Scott Mescudi s'était établi à New-York dans les années 2000, travaillant comme vendeur de sapes pour Bape. Ce métier aurait un impact pour sa carrière : grâce à lui, il allait rencontrer un client qui deviendrait son mentor, Kanye West ; et c'est une autre marque de street-wear, 10.Deep, qui lui permettrait de sortir sa mixtape.

Parrainé un temps par Fool's Gold Records (par excellence le label rap pour les hipsters), et influencé par des artistes plus vraiment d'actualité dans les années 2000, estampillés "rap alternatif" comme A Tribe Called Quest et The Pharcyde, ou venus de la scène rap indé comme son voisin de l'Ohio Camu Tao (Kid Cudi collaborerait plus tard avec son collègue des Nighthawks, Cage), le rappeur proposait avec a A Kid Named Cudi une musique qui tranchait avec son époque.

Ce projet suivait la logique des mixtapes en ces années là : un rappeur posait ses paroles sur les instrumentaux d'autres gens. Mais Kid Cudi allait chercher ses sources bien au-delà du rap. "50 Ways to Make a Record", par exemple, était une réécriture du "50 Ways to Leave Your Lover" de Paul Simon, et "The Prayer" s'appropriait les sons de "The Funeral", du groupe indie rock Band of Horses. Il usait aussi des beats de laborantins de l'underground, J Dilla pour le plus notoire, mais aussi le Californien Nosaj Thing, un habitué des soirées Low End Theory.

Même quand il employait des morceaux de stars du rap, il privilégiait des gens coutumiers des escapades crossover, comme Outkast, Gnarls Barkley, ou N.E.R.D, le groupe rock des Neptunes. A propos de rock, d'ailleurs, le rappeur lui-même progresserait deux ans plus tard dans cette direction, avec le projet WZRD. Et dès A Kid Named Cudi, il n'hésitait pas non plus à user d'IDM et autres musiques électroniques, version chatoyante sur ce joyeux hymne à la weed qu'est "Maui Wowie", étrange sur "TGIF" et cet hommage à sa ville qu'est "Cleveland is the Reason", drum'n'bass sur "CuDi Spazzin" ou plus atmosphérique sur "Pillow Talk".

En plus de cet éclectisme musical, l'autre particularité de Kid Cudi, au terme d'une décennie marquée par les super-héros de la G-Unit ou de Dipset, c'était son positionnement parfois triste, vulnérable et émotif. L'exemple le plus flagrant était "Day 'n' Nite". Devenu un gros tube, ce morceau n'avait pourtant rien d'habituel : il était autant chanté que rappé, et son interprète y parlait des maux de sa solitude, qu'il fuyait dans la fumée du cannabis. Un autre titre, "Down & Out", était plus explicite, puisqu'il était question d'y noyer son mal-être dans la drogue. Et sur deux autres encore, "Man on the Moon" et "Embrace the Martian", Kid Cudi disait sur un mode introspectif qu'il n'était pas de ce monde. Future, le rappeur, était donc déjà très présent sur A Kid Named Cudi. Et avec lui, le futur, tout court.

Kid Cudi, sur ce projet comme après, avait les défauts de ses qualités. Anticipant à nouveau Drake, sa musique s'approcherait de la variété, dans tous les sens du terme, pour le pire (elle inspirerait le "I Gotta Feeling" de Black Eyed Peas, et c'est pendant l'enregistrement de ce titre qu'il lancerait sa propre collaboration avec l'antéchrist David Guetta), mais aussi pour le meilleur : son sens de la mélodie, ses belles confessions poignantes ("Save My Soul") et son caractère précurseur.

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