21 Savage est une figure émergente, au sein de la toute nouvelle génération des (t)rappeurs d'Atlanta. Cependant, à l'opposé des cinglés excentriques à cheveux verts qui semblent avoir envahi cette scène, celui-ci se cantonne au versant le plus sombre du rap, le plus abrupt, le plus nourri de ses expériences précoces avec la rue, les armes et la mort violente. Il opte pour une voix sourde, rêche et lente, lourde de menaces. Le titre des mixtapes qui l'ont fait connaître, en 2015, confirment cette posture, puisqu'après avoir sorti une Slaughter Tape, Shayaa Joseph (son vrai nom) s'est proclamé le Slaughter King. Notre Roi du Massacre a aussi réclamé la libération de Gucci Mane sur Free Guwop, en compagnie de Sonny Digital. Mais c'est avec un autre producteur majeur d'Atlanta, en 2016, qu'il a sorti avec Savage Mode ce qui s'avère, de manière évidente, son tout meilleur projet.

21 SAVAGE & METRO BOOMIN - Savage Mode

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Le maître d'œuvre de cette mixtape au-dessus du lot, c'est Metro Boomin. Celui-ci a sublimé le phrasé mortifère de 21 Savage. Quelquefois, il a renforcé son rap inquiétant par des sons du même tenant : sinistres et lents. C'est le cas du titre introductif, "No Advance", plus tard de l'extra-minimaliste "Real Nigga", ou bien, de façon encore plus convaincante, d'un prodigieux "No Heart" concocté avec l'aide de Southside. Mais d'autres fois, au contraire (et cela en est plus saisissant encore), Metro Boomin apporte à 21 Savage des beats chaleureux et aériens. L'exemple le plus marquant, c'est le mélodique "X", un titre doux, renforcé par l'envolée d'une flûte évanescente et par les chantonnements de Future. Ce changement de ton semble approprié, puisqu'il est question ici d'un sujet plus léger : les filles. Mais très vite, le naturel des deux rappeurs reprend le dessus, et il apparait leurs conquêtes ne sont, pour eux, qu'une commodité de plus.

Car comme il l'explicite sur "No Heart", 21 Savage n'a pas de morale ("ils disent que le crack tue ; négro, mon crack à moi, il se vend"), il n'a plus de cœur. On le lui a mutilé. La consommation des drogues et l'expérience de la violence ont anesthésié ses sentiments, ils sont partis. Et pourtant, parfois, par de soudains changements de timbre de voix, percent des soupçons de vulnérabilité. Ou bien c'est un amour ténu que révèle "Feel It", l'autre morceau sur le beau sexe. Ce dernier, cependant, se montre assez médiocre, et il souligne la limite de cette mixtape : bien que "No Heart" et "X" soient des merveilles absolues, les autres titres n'en sont souvent qu'une déclinaison fade. Savage Mode n'en démontre pas moins le chemin parcouru depuis la trap music des débuts, tonitruante et fière. Ici, celle-ci repose toujours sur les mêmes thèmes, sur les mêmes mélodies entêtantes (cf. "Bad Guy"), sur le même rap ânonnant, sur les mêmes répétitions et sur les mêmes motifs rythmiques. Mais elle est plus lugubre, elle est glaçante.