En 2002, Sage Francis sortait de la confidentialité avec un premier album en bonne et due forme, Personal Journals, chez Anticon. Tout à coup, grâce à la présence de tubes et à la qualité de plusieurs productions, à cause, sans doute aussi, de sa sensibilité rock, et malgré le côté assez inégal de ce disque (il en sortirait des meilleurs), le rappeur et poète spoken word de Providence élargissait considérablement son public. Cependant, selon une loi bien établie de la musique, certains de ses fans allaient trouver à redire, considérant que le Sage Francis qui comptait, c'était celui de ses mixtapes de la série des Sick of..., dont il avait sorti alors quatre exemplaires, notamment le très apprécié Sick of Waiting Tables...

SAGE FRANCIS - Sick of Waiting Tables…

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Difficile de retracer avec exactitude les origines de cette sortie, alors réservée aux seuls fans (Sage Francis insistait sur le fait qu'il ne s'agissait pas d'un album), auxquels elle était vendue sous forme de CD-R, soit en marge de concerts, soit sur Internet. Il semble bien, cependant, malgré des informations souvent divergentes, qu'elle ait été la première de la série et qu'elle soit sortie dès l'an 2000, et non en 2001, l'année même où Sage Francis avait remporté la MC battle du Scribble Jam. Elle rassemblait en tout cas toute une série de travaux enregistrés ici ou là par le rappeur des Non Prophets pendant les quelques années qui avaient précédé : exercices battle, extraits de concerts, freestyles à la radio, ou bien vrais morceaux de studio ; raps, slams, mais aussi ragga dancehall sur "Gun Gods", avec Louie Rankin, et une reprise live du "Whip It" de Devo, à la fin de "When Freedom Ring".

C'était donc bel et bien une mixtape, éclectique, désordonnée, remplie de tout un tas de titres sans grand rapport les uns avec les autres, comportant des passages au son approximatif, et dont le seul but était de se constituer et de fidéliser un noyau dur de fans. Cette sortie était aussi une étape de plus dans l'émergence de la scène rap post-indé qui se structurait autour des labels Anticon et Rhymesayers. On y retrouvait plusieurs de ses DJs (Abilities) et producteurs phares (outre Joe Beats bien sûr, Alias, Sixtoo, Panic et PNS des Molemen) ainsi que tous ses rappeurs importants, parfois même sur le même morceau, comme cet "Orphanage Freestyle Part 1" où s'exprimaient aussi Aesop Rock, Blueprint, Eyedea, Illogic et Slug. Il y avait donc tout le monde et de tout sur Sick of Waiting Tables. Cette mixtape était un grand foutoir. Mais c'était aussi ça qui faisait tout son intérêt.

On y retrouvait en effet tous les visages de Sage Francis : ses raps engagés, comme ceux plus introvertis ; son goût pour la punchline, comme ses textes plus écrits ; ses accents d'homme en colère, comme sa face la plus sarcastique ; son métier de pur rappeur, comme celui de poète slam ; ses efforts solos, ou ses virées collectives, comme les échanges avec Vocab sur "Drop Bass" ou le grand n'importe quoi et le beatboxing de "The Best Of The Underground Kid Battle" ; du boom bap, comme les sons sombres et expérimentaux caractéristiques de l'époque. Et il y avait aussi quelques uns des meilleurs moments de sa carrière, comme ce "Rewind", souligné par une trompette, retour très personnel sur une relation amoureuse compliquée, ou encore "Testimony", avec Sole et Sixtoo, sur une production caractéristique de ce dernier. Par la suite, Sage Francis sortirait des projets mieux finis et plus cohérents que celui-ci. Mais plus jamais on ne retrouvera étalée ainsi, sur une seule galette, toute la panoplie de ses talents.