On l'avait presque perdu de vue, Sage Francis. Quatre années sans sortir un disque, à laisser tomber le rap pour gérer son label, ou pour séjourner en Afrique, ça avait été long. Qui plus est son dernier album, Li(f)e, en 2010, celui où il s'était essayé à collaborer avec des musiciens venus de l'indie rock, n'avait pas franchement été son plus retentissant. Il lui manquait la dureté et la férocité qui ont toujours fait la force de son rap. Quand il est réapparu en juin 2014 avec ce nouvel opus, Copper Gone, nous ne nous sommes donc pas nécessairement précipités dessus. Et nous avons eu tort, car c'est bel et bien le même Paul William Francis, autrefois l'une des figures les plus possédées et emblématiques du rap indé de Blancs, qui a refait surface ici.

SAGE FRANCIS - Copper Gone

C'est celui que l'on aime, emporté, enragé, à vif. L'influence rock, qui a toujours été prééminente chez lui, n'a pas disparu. Mais elle est présente comme avant, comme sur le classique A Healthy Distrust, comme elle l'a toujours été chez Sage Francis, via quelques sons furieux empruntés à ce genre ("Pressure Cooker", "ID Thieves"). Elle est là aussi dans l'esprit, dans cette rage orientée autant contre les autres que contre lui-même. A bientôt 40 ans, l'homme de Providence est toujours en colère, donnant dans la politique (un peu), ou s'en prenant aux faux rappeurs underground, sur "ID Thieves", une diatribe où il ne nomme personne, mais qu'on jurerait orientée contre Macklemore, que Sage Francis a déjà accusé d'avoir tout pris aux indés comme lui, sans avoir eu l'élégance de leur renvoyer l'ascenseur.

On retrouve le Sage Francis originel dans ses textes personnels, dans sa volonté de se mettre à nu et à écrire ses raps comme un journal intime (après tout, n'était-ce pas là le titre de son premier album, Personal Journals ?). Ici, il va loin dans la confession, nous parlant de problèmes relationnels ("Grace", "Once Upon A Blood Moon"), comme de choses encore plus extrêmes pour un rappeur, par exemple sa passion pour… son chat, presque la dernière chose pour le rattacher à l'existence, d'après "Make Em Purr". Avec lui, il n'y a plus de pudeur. C'est d'ailleurs bien ce qui continuera à poser problème à ses détracteurs : une carence d'humour, une absence de distance qui rendent son rap "emo" et ses textes à vif presque insoutenables.

Mais avec Sage Francis, tout cela est couillu. Ca prend aux tripes, ça sonne vrai. D'autant plus qu'il est tout sauf un mauvais rappeur, usant comme jamais de son aisance verbale. Et pour couronner le tout, les sons, fournis par une belle brochette de producteurs indé (Reanimator, Alias, Buck 65 et Cecil Otter de Doomtree), sont à la mesure des paroles, tantôt rageurs et enflammés (le single "Vonnegut Busy", "Say Uncle", "MAINT REQD"), tantôt mélancoliques ("Grace", "Dead Man's Float", "Thank You", "The Set-Up" et le très beau "Make Em Purr"), et autres choses encore (un "Cheat Codes" électronique). Dans l'ensemble, ils sont très aboutis, faisant de cet intense Copper Gone un retour gagnant et un nouveau grand Sage Francis.

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