Quand un artiste titille l'attention des médias, comme Mick Jenkins par exemple, en 2014, avec le projet The Water(s), puis cette année encore avec le EP Wave(s), il faut toujours s'intéresser au moment d'avant. Il faut chercher le point de départ, le signe originel, celui qui, la première fois, a attiré le regard vers la personne. Très souvent c'est ainsi, en remontant vers la source du buzz, que l'on découvre son essence même, et parfois, son œuvre la plus captivante, comme pourrait l'être Trees and Truths. Celle-ci n'a pas été la première mixtape du rappeur de Chicago, mais elle est celle qui lui a permis de quitter la foule des anonymes et de devenir une sensation locale, avant que celle d'après ne le popularise au-delà de sa ville.

MICK JENKINS - Trees and Truths

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Cette sortie permettait de situer le rappeur. On y retrouvait déjà ce qui est sa caractéristique première : un goût prononcé pour le concept. Avant d'investir le thème de l'eau sur The Water(s), il s'intéressait ici aux sujets bibliques, celui de Noé et du Déluge le temps du titre "Noah and The Reign", et surtout ceux d'Adam et Eve, de l'Arbre du Savoir et du Paradis Perdu. Le projet était parsemé de dialogues racontant la tentation d'Eve par le serpent, sur un ton théâtral, comme échappé d'un péplum ringard. Et ceux-ci éclairaient la signification des textes du rappeur : ils étaient des réflexions sur le Bien et sur le Mal, sur le péché et sur les tentations, appliquées au monde moderne qu'est la communauté afro-américaine.

Tout cela nous amène à la seconde particularité forte de Mick Jenkins : il est un rappeur "conscient". Il représente l'autre tradition du rap de Chicago, celle de Common et de Rhymefest, celle que l'on oppose à la plus contemporaine drill music. Plutôt que des sons électroniques tapageurs, ce sont d'autres, plus suaves, discrets, organiques et subtils, que Mick Jenkins privilégie pour habiller ses paroles : pianos ou saxophones jazz sur "The Trees" et "Lord, Listen", trompettes et percussions appuyées sur "The Roots", flûtes classiques sur le très beau "Lack", chants samplés sur "Peg Cuffs and Pocket Tees" et "The Truth", guitares sur ce "Noah and The Reign" marqué aussi par l'intervention de la rappeuse Jean Deaux.

Avec sa musique, avec aussi son style de rap austère qui le rapproche du spoken word, ce rappeur-là se range tout de suite parmi les intellos, parmi les sages de la rue, avides de dispenser des leçons : "my nigga you see the trees, my nigga you see the leaves, well homie I see the roots", sur "The Trees" ; "we love to hear the lies, we hate to hear the truths", sur "Lord, Listen". Mick Jenkins raille vertement les postures tape-à-l'œil de ses pairs sur "Free Nation Rebel Soldier ("I see the make-up, the whips, chains, and the bracelets, and that don't mean a damn thing to me"), les armes à feu sur "The Trees" ("hear the gun stutter like an ill speech impediment") ou l'insignifiance des filles faciles sur "Klondike Shit" ("you say you a bad bitch, you got ass, you got ass and tits; where you buy that, girl?") et, sur "Free Nation Rebel Soldier" encore, il regrette le rap d'antan ("back in '96, when Patti Mayonnaise was a bad bitch, and hip hop was still full of classics").

Ce garçon est un rappeur sérieux, engagé et concerné, donc, de ceux qui vont parler de hip-hop plutôt que de rap. Mais il n'est pas pontifiant. A l'inverse, pour mieux les employer contre eux, il reprend les armes de ses collègues d'inspiration gangsta. Il utilise leur vocabulaire, et il en a parfois la virulence. En plus de sons organiques, aussi, il en use d'autres, plus actuels, comme ceux de "Maintain". Son flow sait être contemporain. Bref, Mick Jenkins est moderne, il est pertinent. Il est notre rappeur "conscient", celui qui a sa place en plein cœur des années 2010.