Grâce au rappeur dérangé Noah23, Plague Language s'était affirmé au début de la décennie 2000 comme l'un des labels les plus représentatifs d'une scène canadienne blanche et arty que le mouvement indé avait soudainement rendu plus visible. Pour autant, les patrons du label ne s'étaient pas limités à leur pays. L'une de leur recrue, Penny Dahl, n'avait pas été dénichée dans la froideur des environs de Toronto, mais à San Francisco, sous le soleil de Californie.

PENNY - The Clockforth Movement

Et cela s'entendait : la demoiselle partageait avec les meilleurs représentants de la face cachée de la West Coast (Project Blowed, Shapeshifters et autres) un goût prononcé pour les phrasés rap supersoniques, et une capacité marquée à changer brutalement de tempo, voire à glisser imperceptiblement vers le chant ou, à l'opposé, vers le spoken word. Côté paroles, c'était souvent obtus et cryptique. La rappeuse, par ailleurs, était portée sur l'introspection plutôt que sur les rodomontades habituelles au rap, et elle abordait des thèmes sérieux, comme quand elle traitait avec Noah23 et Troubadour des attentes de la société envers les femmes.

Mais l'intérêt de ce Clockforth Movement ne s'arrêtait pas aux compétences vocales et au talent d'écriture de Penny. Concoctées par les beatmakers du gouffre Wes Bonifay, Rajbot, ainsi que Manicdepressive et Ognihs des Suspended Animators, bâties pour une bonne part sur des samples de guitare acoustique, mâtinés à l'occasion d'effets ambient, les instrus sur lesquelles la Californienne posait son flow accéléré étaient toutes de petites vignettes rap (vraiment toutes petites : l'album ne durait même pas une demi-heure) inventives et complexes. Elles défiaient les conventions, mais souvent elles étaient absolument craquantes et accrocheuses.

Il fallait être un bien mauvais coucheur pour ne pas succomber aux réussites qu'étaient "Thisorder", "Parents" et "Air Drops", ou aux raps malicieux, touchants et parfois humoristiques de la rappeuse, comme par exemple cette histoire de bénédiction divine par email accompagnée d'une dédicace de Saint Johnny Cash. The Clockforth Movement n'était pas parfait, l'auditeur exigeant pouvait lui reprocher un court passage à vide dans son dernier tiers. Mais le titre conclusif, un "Penciled Cursive-Red" idéal, fort d'un sample du "Day is Done" de Nick Drake adroitement renforcé par des percussions, balayait ces quelques réserves et absolvait immédiatement Penny : ce premier album, qu'on se le dise, était irrésistible.

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