Pour quelqu'un de si fortement identifié à une époque révolue, la fin des années 90 et l'ère du rap pour backpackers, Aesop Rock ne vieillit pas si mal. En tout cas, il ne baisse pas les bras. Désormais chez Rhymesayers, il a sorti en 2012 un Skelethon produit par ses soins, sans doute l'un de ses meilleurs albums. L'année d'après, il a mené à bien le projet The Uncluded, avec Kimya Dawson des Moldy Peaches, soit l'équivalent folk rock de ce qu'Aes est pour le hip-hop : ses intellos bohèmes new-yorkais. Et en 2014, il a renoué avec un projet entamé quelques années plus tôt, Hail Mary Mallon, un trio avec le DJ Big Wiz et une autre ancienne gloire du rap indé new-yorkais passée par Def Jux : Rob Sonic, ex-Sonic Sum.

HAIL MARY MALLON - Bestiary

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Ce second disque en commun remplit tous les critères de cet underground dont, autrefois, ces rappeurs ont été deux porte-drapeaux : raps virtuoses, remplis de mots recherchés et de rythmes internes ; basses volumineuses (cf. "Jonathan") d'ascendance boom bap ; beats de science-fiction ("Krill", "The Soup", "Kiln") et bizarres ("Picture Day"), avec parfois un petit arrière-goût rock ("King Cone") conçus par les deux rappeurs eux-mêmes, mais où on reconnaît une forte parenté avec El-P, leur ancien protecteur ; scratches à l'ancienne, fournis généreusement par DJ Big Wiz ; clins d'œil à la pop culture, ou à la culture tout court (la Mary Mallon en question, par exemple, alias Typhoid Mary, fut responsable de la contamination par la fièvre typhoïde de dizaines de personnes au XXème siècle).

Il y a un changement, cependant, par rapport à l'album précédent du trio, un Are You Gonna Eat That? empaqueté vite fait mal fait en 2011, deux ans après une première collaboration sur la quatrième compilation Definitive Jux Presents. Cette fois, les deux rappeurs et le DJ ont apporté un soin supplémentaire aux finitions. Malgré la présence de quelques tubes, comme "Krill" et "Kiln", et de quelques autres moments forts comme "Octoberfest", c'est tout l'album qui tient la route.

Par ailleurs, ce qui ne gâche rien, Aesop Rock et Rob Sonic, figures de proue d'un style de rap souvent décrié pour ses excès de sérieux, abordent leur affaire avec distance et humour. Même quand les rappeurs critiquent l'obsession pour l'argent sur "Whales", c'est fait le cœur léger. Et puis il y a ces interludes à propos d'un bowling que le trio tenterait de sauver par une levée de fonds, avant de découvrir qu'il est en fait fermé depuis 1995. Une métaphore, sans doute, pour rappeler que le rap qu'ils défendent encore est mort au siècle dernier, même si cet album, pas un chef d'œuvre mais un disque réussi et plaisant, tendrait à prouver le contraire.