Autrefois, à Washington, il n'y avait rien, côté rap. Ou si peu. Et puis, émergeant dans la seconde moitié de la décennie 2000, il y eut Wale. Avec son rap propret et adulte, cependant, celui-ci fut parfois accusé de ne pas représenter la dureté des rues de sa ville. Alors en 2009, comme pour répondre à ces attaques, il fonda un label, le Board of Administration, qu'il dédia à des artistes locaux. L'un d'eux, Fat Trel, donnait lui bien davantage dans un rap âpre et irrévérencieux, inspiré par le Sud. Il était stylistiquement tout le contraire de son mentor, et semblait mieux symboliser sa ville. Et de fait, actif depuis plusieurs années déjà, mais propulsé sous le feu des projecteurs par ce parrainage, Martrel Reeves allait devenir, dans les années 2010, la principale incarnation de la scène rap de Washington.

FAT TREL - No Secrets

Board of Administration:: 2010 :: télécharger la mixtape

On connaît sa carrière : ses mixtapes Nightmare on E Street (2012), SMDG (2013), et la récente Gleesh (2014), à retenir au moins pour la pochette ; et aussi en 2013, au sein du Louie V Mob, son association réussie avec Alley Boy, son homologue d'Atlanta en quelque sorte, et avec le vétéran Master P. Mais l'essentiel de son trajet solo, ses meilleurs moments, ont peut-être bien précédé tout cela : il pourrait s'agir en effet d'April Foolz, une sortie de 2011 déjà vantée sur ces pages, et de No Secrets, sa toute première mixtape, celle qu'il proposa en mai 2010, au moment même où le Board of Administration le faisait sortir de l'anonymat.

Dès le formidable et virevoltant "No Secrets", ouvert par de rituels coups de feu, Fat Trel s'affirmait avec éclat comme un pur produit du hood. Il se montrait donc vénal, libidineux, mordant et prêt à user de la gâchette. Le titre suivant, lui, s'appelait sans ambigüité Trappin Like a Fool. Et sur celui d'après, un "Deep Thought" construit sur une instru suave, Fat Trel avait beau jouer à l'introspectif, il ne devenait pas sage pour autant. Quant à son portrait de la fille idéale, un peu plus tard sur "Just My Kinda Girl", il ne s'embarrassait ni d'hypocrisie, ni de délicatesse. Bref, Fat Trel ne départissait en rien du vieux registre du thug.

Là où ça changeait, cependant, c'était dans les styles musicaux employés. Sur No Secrets, le rappeur s'exprimait souvent sur les beats claironnant en provenance du Sud, sur "U Playing" et "Everybody Looking" par exemple, ainsi que sur l'éclatant "Champagne Wishes", l'hymne de la mixtape. Mais pas que. Il y avait aussi la douceur de "Deep Thought", la langueur de "Just My Kinda Girl", les refrains screwed de "Making Gs" et de "Trappin Like a Fool", du boom bap infusé à la soul sur "Cold Blood", de la bizarrerie et de l'expérimental sur "Freak a Melody", avec Wale, de la chipmunk soul sur "Cremate Em", les chants évaporés de Jay Hayden sur "Fame & Fortune", et du rap pour les clubs sur "Patron In My Cup".

Et puis bien sûr il y avait quelques emprunts : le tube "I'm The Shit", de DJ Class, était détourné sur ce même "Patron in My Cup" ; le "O Let's Do It" de Waka Flocka devenait "Olesdoit" ; et un sample de Lil Wayne sur "Trel Got em Laughing," issu de sa mixtape No Ceilings (2009), donnait l'illusion, fausse, que Weezy avait rendu hommage à Fat Trel avant même qu'il n'apparaisse au grand jour. No Secrets, donc, était un assemblage hétéroclite. Il avait tout des recyclages et du caractère disparate caractéristiques d'une mixtape. Mais ici, c'était tout sauf un handicap.