S'il fallait désigner le meilleur représentant du rétro-futurisme, cette tendance qui consiste à revenir vers le passé pour mieux imaginer le futur, alors l'élu devrait être Edan Portnoy. Avec son premier album, le classique underground Primitive Plus, le rappeur, producteur et DJ avait inventé un genre improbable, la old school de l'an 3000. Il s'était accaparé le style hip-hop de la décennie 80, comme si celui des années 90 n'avait pas existé, et il l'avait fait entrer dans le nouveau millénaire. Et puis, avec son second opus officiel, il était remonté plus loin encore, s'appropriant cette fois le rock psychédélique des années 60, pour lui faire faire un bond dans le temps et le précipiter à l'ère du rap. Et le tour de force d’Edan, avec ce Beauty and the Beat qui aurait pu être une expérience informe et infâme, c'est que tous y trouvaient leur compte.

EDAN - Beauty and the Beat

Les vrais fans de rap, ceux qui vénèrent cette musique qui, à d'autres, semble impénétrable et rasoir, se délectaient de cette inventivité "lyricale", de ce flow presque forcé (la marque de fabrique de l'underground rap de Boston), de cet ego-trip malin, de ce funk qui déménageait ("Funky Voltron"), de ces percussions virevoltantes, de ce rythme soutenu et ébouriffant, de ce tribut aux anciens ("Fumbling Over Words That Rhymes"), de ces clins d’œil à l'histoire du rap ("Prince Paul already used this loop" sur "I See Colours"), du renfort de semi-légendes underground (Percee P, Insight, Mr. Lif), de ce rap qui sonnait rétro mais pas anachronique.

Les autres se réjouissaient au contraire de ces guitares et de ces cordes en folie, de ce hautbois joli comme tout sur "Promised Land", de cette saveur pop hallucinée héritée des années 60, de cette débauche de psychédélisme, de ces "splam boum" dans tous les sens, à rendre jaloux le "Psyche Rock" de Pierre Henry, et de "Rock and Roll", vibrant hommage à la musique du même nom. Et les deux catégories de personnes s'accordaient quand il fallait se pâmer devant cette capacité à jouer de samples empruntés à Pink Floyd ou aux Hollies, et qui faisait de chaque morceau un nouveau "Sing it Shitface", le titre emblématique de l'album précédent.

Quant à ceux qui ne savaient pas quoi penser de ce disque idéalement court (à peine plus d'une trentaine de minutes), ceux qui étaient rétif à cette musique ultra-référencée et qui semblait conçue tout spécialement pour les rock ou les rap critics, ils pouvaient toujours gloser sur la nouvelle coupe de cheveux d’Edan, qui arborait alors une tignasse impressionnante.

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