Le Mot et le Reste :: 2014 :: acheter ce livre

Cette thèse était séduisante. Elle disait quelque chose que même les incultes en musique brésilienne (au rang desquels votre serviteur a le regret de figurer) se doivent de reconnaître : la musique brésilienne est riche, très riche. Un livre récent le confirme, sorti par David Rassent, chroniqueur pour le site Guts of Darkness, qui poursuit avec lui cette longue et méthodique exploration de tous les genres musicaux, commencée il y a presque dix ans par les éditions Le Mot et le Reste, avec le critique Philippe Robert. Sorti très opportunément au moment de la Coupe du Monde, alors que tous les regards se portaient sur le géant sud-américain, il reprend le format habituel à cette collection : d'abord une mise en perspective, qui retrace à grands traits l'histoire de la musique brésilienne et qui souligne ses spécificités, suivie d'une sélection d'une centaine d'albums emblématiques.

Le mérite de ce livre, par ailleurs bien écrit, est de ne pas s'attarder sur le moment où la musique brésilienne a séduit le Nord, celui de la bossa nova, dans les années 60, et de ses quelques flirts avec le jazz. Même s'il s'attarde sur le début des années 70, manifestement riche en chefs d'œuvre, il ne parle pas non plus que de cette MPB, ou Música Popular Brasileira (la Musique Populaire Brésilienne donc), qui s'imposa après la bossa nova, quand les musiques traditionnelles du pays s'ouvrirent au jazz et au rock anglo-saxons. Non, il parle de tous les genres, sous-genres, et tendances apparus dans le dernier demi-siècle au Brésil : les différents styles régionaux (un rappel que le Brésil est vaste et divers), les musiques d'avant l'invasion pop anglo-saxonne (samba, choro, forró, brega, et autres), celles d'après (tropicalisme, techno brega, funk carioca / baile funk, manguebit), tout comme les adaptations locales de formes venues d'ailleurs, le pays ayant aussi eu des groupes remarquables en matière de rock, post-punk, metal ou hip-hop.

Ce dialogue entre les traditions populaires et les musiques anglo-saxonnes (voire africaines et européennes, françaises notamment), c'est le sujet au cœur du livre. A en croire David Rassent, le Brésil, à quelques yé-yés locaux près, a su trouver l'équilibre parfait entre influences internes et externes. Il a su intégrer ses rythmes propres, issus comme beaucoup d'autres aux Amériques des esclaves africains, à l'environnement pop international. Sa musique est le résultat d'une appropriation réussie, professée dès la fin des années 60 par le tropicalisme de Caetano Veloso et de Gilberto Gil, et entretenue tout au long de son histoire par ses allers et retours avec l'Amérique : collaboration entre João Gilberto et Stan Getz dans les années 60, ponts jetés bien plus tard par l'expérimentateur Arto Lindsay, issu de la no wave newyorkaise, et le producteur hip-hop Mario Caldato Jr. (Tone Loc, Young MC, Beastie Boys), deux Brésiliens de naissance ayant connu une carrière faste aux Etats-Unis, tout en maintenant des liens avec leur pays d'origine.

L'autre dialogue dont il est question, c'est celui entre les musiques populaires et les musiques savantes. Car au Brésil, David Rassent souligne-t-il, la musique du peuple a souvent été considérée comme une affaire éminemment sérieuse. Compréhensible, dans un pays marqué par les soubresauts politiques et par des périodes dictatoriales dures. Etre un musicien, au Brésil, a souvent été un véritable engagement. Cela en a conduit plusieurs d'entre eux, notamment les tropicalistes, à l'exil, ou dans les geôles de la dictature, voire dans ses salles de torture. David Rassent, donc, rend compte de tout cela, et cela est l'essentiel.

Alors bien sûr, il reste à résoudre l'autre question, celle de la pertinence et de la qualité de sa sélection, ce que je ne me hasarderai pas à tenter, n'ayant écouté tout au plus que trois ou quatre disques dans cette sélection. D'autres s'en chargeront. Pour les ignares comme moi, toutefois, le livre a au moins le mérite de jeter sans arrêt des ponts entre les musiques brésiliennes et d'autres, mieux exposées, soit en parlant des influences et des collaborations, soit en comparant telle ou telle œuvre à une homologue européenne ou nord-américaine.

Et le spectre est large, l'auteur citant avec facilité des artistes venus de tous les univers, jazz, rock, hip-hop ou autres, même si dominent ici, légèrement, des références très "rock adulte alternatif". Cela vire parfois au name-dropping, mais ces comparaisons sont utiles, elles sont d'importants repères pour tout néophyte. Ou plutôt, pour tout néophyte en musiques brésiliennes, mais qui dispose, au moins, d'un premier vernis important en matière de pop music internationale.