Le EP South Bay Blues accompagnait en 2004 un recueil de poèmes sorti par Pigeon John, et c'était l'œuvre la plus belle, sobre et personnelle de l'ancien membre du collectif LA Symphony, par ailleurs un habitué du Good Life Café. Il ne comportait que huit titres, mais huit titres exceptionnels, huit titres dignes de "What is Love?!" et de "Emily", les meilleurs moments de l'album précédent, Pigeon John is Dating your Sister. Faute de publicité, malheureusement, le disque s'était montré plus facilement disponible en MP3 pirate sur Internet qu'ailleurs. Il fallu donc attendre la sortie un an après de Pigeon John Sings the Blues (le dernier album du rappeur métis chez Basement Records, avant une carrière chez Quannum Projects), pour que réapparaissent ces huit bijoux sous une autre forme.

PIGEON JOHN - Sings the Blues

Basement Records :: 2005 :: acheter ce disque

Pigeon John chante le blues, nous révélait donc la pochette délicieusement rétro de ce disque. Il se lançait aussi dans les grands thèmes, les diverses formes de l'amour ("Nothing Without You"), l'insignifiance de l'homme ("Matter 101") et tout ça, mais avec le ton badin et la dose d'humour déjà à l'œuvre sur ses albums d'avant. Ainsi sur "She Cooks Me Oatmeal", quand l'amoureux transi se montrait finalement mû par des motivations pour le moins terre-à-terre : "You cook me oatmeal, you make me breakfast, and I miss you, 'cause I'm hungry". Ainsi encore sur "Upside Down Rotten, quand il modérait ses propos de fêtard repenti : "I used to drink Bacardi and go to strip clubs (pause), and I still want to go to strip clubs".

Tour à tour, Jean le Pigeon se livrait ou il plaisantait. Et il n'hésitait pas à arpenter les chemins de traverse du hip-hop. Il rappait et chantait alternativement, avec un naturel tel qu'il n'était plus besoin de noter quand il passait d'un registre à l'autre. Ses titres étaient tous éminemment enjoués ou mélodiques, et il n'hésitait pas à recourir à la guitare acoustique, voire aux cordes d'une valse sur le classieux "The Grand Oli Waltz". Pigeon John contournait et détournait le rap, il en faisait son truc. Et comme il le précisait sur "Matter 101" ("I don't care if the hip hop heads turn away and say Pigeon John has turned gay"), il se fichait bien des réactions.

Enfin, il s'en fichait... Pas tout à fait, car South Bay Blues n'était pas ressorti dans sa sobriété originelle. Soucieux de proposer un disque plus produit, le rappeur avait enrichi les instrumentations et ajouté de nouveaux titres. Malheureusement ces ajouts ne s'avéraient pas tous nécessaires. "You Can't Have It", par exemple, se retrouvait affublé d'une percussion irritante et superflue. Et quelques morceaux issus de l'album précédent ("Emily", "Identity Crisis" et un "Life Goes On" renforcé par Abstract Rude) se retrouvaient maltraités par des remixes sans imagination.

Les purs inédits, en revanche, étaient plutôt bons. Ainsi ce "Sleeping Giants" avec Eligh et The Grouch, des Living Legends, où il était question de la difficile course vers le succès, ou ces "Rainy Day" et "Draw Me Closer" à l'ambiance crépusculaire, très trip hop. Le seul hic, c'est que ces nouveaux titres s'articulaient mal avec ceux d'avant. Ils étaient d'un autre genre, d'une autre coloration, et ils gâtaient quelque peu la fraîcheur originelle de South Bay Blues. Même si, avec une telle base, Pigeon John Sings the Blues ne pouvait pas être autre chose qu'un très bon album.