"S'il vous plait, soutenez mon album, aidez moi à payer mes factures d'hôpital et mon loyer". Ainsi Neila, en 2011, présente-t-elle Only This One Counts. Avec ce cri de détresse, la rappeuse originaire d'Hawaï, une proche de Deeskee, Acid Reign, Omid, Joe Dub, bref, du West Coast Underground, exhorte ses fans à l'aider dans ces épreuves. Désormais sans emploi ni domicile, elle souffre d'un cancer des cordes vocales, et elle annonce que cet album, sorti uniquement en vinyle et illustré par ses soins, sera le dernier avec sa vraie voix.

NEILA - Only This One Counts

Cette voix, toutefois, est déjà très altérée. Elle a pris vingt ans d'âge, comparée aux sorties précédentes, plusieurs CDs confidentiels remplis d'un rap adulte de qualité, fait de considérations intimes et de commentaires sociaux, parfois produits par les gens mentionnés plus haut. Le timbre éraillé, brisée, la rappeuse fait peine à entendre sur ce nouvel album. Qui plus est, elle y entretient des idées noires, entamant un sépulcral "White Zombie", par exemple, par un lugubre "ceci est mon épilogue, je marche vers la mort dans les pas lourds d'un zombi blanc" (traduction approximative).

A bien écouter les paroles, les malheurs que Neila partage sont en fait sentimentaux, pour l'essentiel, mais la peine n'en est pas moins réelle. Et, confirmant la règle désespérante qui veut que l'art, cette divinité cruelle, se nourrisse d'angoisses et de douleur, elle n'a jamais été aussi poignante.

La rappeuse a déjà délivré des titres sensibles et émouvants, comme le délicat et jazzy "The Dream" présent sur Vertical Trees With Eternal Leaves et sur le Blacklight Sessions du producteur Deeskee, tous deux sortis en 2003. Seulement, sur Only This One Counts, beaucoup sont de ce niveau.

Les raps graves et rauques de Neila sont soulignés par une musique dans les mêmes tons, faite de beats pesants, de nappes atmosphériques et noires ("Back Then"), de piano dépouillé et d'orgue mortuaire (le beau "Final Note"), de clavecin et de chœurs fantomatiques ("Brain Gap") qu'elle emprunte au Requiem de Mozart, rien de moins... Produits par un certain Rezult, ces sons sont renforcés par ailleurs par les scratches sinistres signés des DJs Skid et Handprints.

La suite, heureusement, sera moins dramatique pour Neila. Quelques mois après cet appel au secours, son cancer sera en rémission. Et dès 2012, elle pourra reprendre le micro et sortir un autre album, Marked For Breath. Celui-ci, cependant, sera moins mémorable que son prédécesseur. Only This One Counts, donc ? Seulement celui-là compte ? Non, sans doute pas, la rappeuse a sorti d'autres disques valables dans sa carrière. Mais ils auront rarement été aussi intenses.

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