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Chercheur et DJ britannique, Jeanette Leech a été cette personne. Dans ce Seasons they Change sorti en 2010 et parrainé par Greg Weeks d'Espers, elle raconte de manière chronologique l'histoire de cette musique qui, par opposition à un folk académique plus respectueux de ses origines, a voulu goûter à l'acid, emprunter des chemins de traverse et prendre la voie de l'expérimentation. Elle nous relate toute l'histoire de ces gens, des pionniers comme l'Anglaise Shirley Collins, aux références les plus évidentes comme The Incredible String Band et Tim Buckley, en passant par des voix singulières redécouvertes au cours des années 2000, celles de Vashti Bunyan, Linda Perhacs ou Alexander "Skip" Spence.

L'auteure cite aussi des références plus obscures. Visant l'exhaustivité, elle brosse en détail les histoires croisées des acid folks britannique et américain. Elle tente aussi des escapades dans d'autres pays, de la Finlande à l'Italie, contredisant les Français Philippe Robert et Bruno Meillier qui, dans un livre consacré en partie aux mêmes artistes, considéraient que le folk ne pouvait être qu'anglo-saxon. Telle n'est pas l'opinion de Jeanette Leech, pour qui l'une des spécificités du folk dans sa version psychédélique est, bien au contraire, de s'inspirer de traditions extérieures au patrimoine anglo-saxon, voire européen. L'horizon de Seasons they Change est d'autant plus large que Leech ne s'arrête pas à la première vague du folk psyché. Elle raconte une histoire unique, des années 50 à nos jours, qui recouvre toute l'évolution du mouvement, dans ses deux phases, celle des décennies 60 et 70, puis celle des années 2000, celle de Devandra Banhart, Joanna Newsom et Animal Collective, pour citer les plus connus, celle d'Alasdair Roberts, Espers et MV & EE.

Jeanette Leech nous relate aussi l'histoire souterraine du mouvement, durant cette traversée du désert qu'il a connue de la fin des années 70 à celle des années 90. Il montre comment le punk, qui semblait avoir tué l'acid folk pour de bon, a paradoxalement préparé son retour. L'auteure raconte la préhistoire du revival folk, et comment, inconsciemment, David Tibet de Current 93, l'Americana de Will Oldham et consorts, puis des pionniers comme In Gowan Ring, Stone Breath et The Iditarod, ont annoncé ce revival, sans toujours en bénéficier eux-mêmes.

C'est donc un panorama complet qui nous est proposé avec ce livre qui pourrait bien être la bible de l'acid folk, son histoire définitive. Les complétistes, bien sûr, y trouveront à redire, repérant l'absence de tel ou tel artiste qu'ils estiment majeur. Plus un livre est documenté, plus ses manques lui sont reprochés, de manière injuste mais systématique. De notre côté par exemple, avec beaucoup de mauvaise foi, nous pourrions regretter que Leech ne mentionne jamais le folk rap mutant de l'après-Anticon, alors qu'elle le fait avec la folktronica, autre sous-genre bâtard né de la rencontre entre le folk psyché et des musiques plus récentes.

Le défaut du livre, cependant, ce serait plutôt, à l'inverse, sa densité. Seasons they Change, en effet, est trop riche. Il se résume parfois à une suite de fiches biographiques, à une succession de détails factuels sans contextualisation. L'auteure s'émerveille du retour impromptu d'une musique qu'on pensait disparue, elle lui promet d'autres morts et d'autres renaissances, mais elle ne cherche jamais à expliquer vraiment ce qu'elle constate. Or, pourquoi ce goût soudain pour un genre ancien, si typique des temps hippy ? Pour quelle raison profonde, autre que la lassitude, l'acid folk avait-il disparu autrefois ? Qu'est-ce qui explique sa résurgence ? Que partage-t-elle avec les années 60 et 70 ? Ces questions, le livre n'y répond pas. Il se contente d'être, ce qui est déjà considérable, l'encyclopédie la plus complète rédigée à ce jour à propos d'un demi-siècle de folk psychédélique.