L'association des termes "haïku" et "coup d'état" parait bien étrange, en français. Mais elle traduit l'esprit de cette œuvre singulière, qui mêle la concision et la force d'évocation de la poésie nippone à une révolution bien menée dans le palais hip-hop. Ce qui ne surprendra pas, quand on rappellera que le trio en question est formé d'un fondateur de la scène Project Blowed, Abstract Rude, d'un membre de Freestyle Fellowship, Mikah 9, et d'Aceyalone, un troisième larron qui est les deux à la fois. Soient trois individus habitués de longue date à repousser et à franchir les frontières du rap.

HAIKU D'ETAT - Haiku D'Etat

MC's come and go
Using little skill to show
While we overthrow

Les MCs vont et viennent
Démontrant leur peu de talent
Et nous les renversons

Ainsi se présente le vrai haiku qui accompagne ce disque, en conclusion, rappelant à juste titre l'éclatante supériorité des MCs d'exception qui composent ce trio. La figure au centre du projet Haiku d'Etat, pourtant, n'est pas un rappeur.

Ancien batteur du groupe rock Third Eye Blind, Adrian Burley en est l'orchestrateur. Il est à l'origine de ce premier disque, il l'a produit, et il a rassemblé toute une escouade de musiciens issus comme lui de la Bay Area, David Boyce (saxophone), Emerson Cardenas (basse), Michael Cavaseno (guitare) pour accompagner nos rappeurs de Los Angeles.

Pas de machines, en effet, sur ce disque. L'instrumentation est 100% organique, et elle permet d'offrir à ces rappeurs aux phrasés acrobatiques et prodigieusement libres le son jazzy et versatile qui leur va le mieux. Grâce à elle, le trio passe par de multiples métamorphoses, il investit de nombreux styles, depuis les mélodies chantées du début ("Haïku d'Etat" et "Non Compos Mentis") jusqu'à cet étrange "that's tight, I like that" répété ad nauseam par Aceyalone à la fin, sur fond de basse minimaliste et avec un toussotement en prime, en passant par plusieurs moments sous forte influence reggae.

Mélopées africaines ("Studio Street Stage"), vapeurs de ganja et dub oppressant ("Los Dangerous"), rap à la cool ("S.O.S.", "Firecracker", "Other MC's"), déclamations sur fond d'orgue rétro ("Still Rappin"), délire avant-gardiste structuré autour d'un célèbre thème orientalisant ("West Side Slip n' Slide"), retour vers la Jamaïque avec une reprise de Bob Marley ("Kaya"). Telles sont les étapes du long voyage entrepris sur ce disque par Haïku d'Etat. Un voyage dépaysant, tour à tour apaisant et exténuant, mais redoutablement bien organisé, sur cet avatar de la longue lignée inaugurée au début des années 90 par Freestyle Fellowship et le Project Blowed.

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