Le Mot et le Reste :: 2012 :: acheter ce livre

Florent Mazzoleni, lui, a le mérite de traiter de tout. De vraiment tout. Le continent entier est traversé, à l'exception du Maghreb et de l'Afrique du Sud (et encore, celle-ci est traitée à la marge). Quasiment tous les pays de l'Afrique Noire sont représentés, les francophones, les anglophones, les lusophones, ceux de la façade Atlantique, ceux qui bordent l'Océan Indien. Un nombre impressionnant de genres sont abordés : afro-beat, high-life, mbalax, makossa, rumba congolaise, soukous, etc. Et les disques abordés couvrent plus de cinquante années. Caler tout cela dans une liste de 100 disques était un défi, que l'auteur a su relever avec succès.

Comme avec son livre sur le reggae, où il avait rappelé sans cesse que la Jamaïque ne fonctionnait pas en vase clos, Mazzoleni montre aussi, cette fois, les nombreux échanges musicaux qui nourrissent l'Afrique : échanges avec la musique anglo-saxonne dominante, bien sûr, notamment l'afro-américaine ; autres échanges transatlantiques, les cousinages étant fréquents et évidents avec les musiques latines et caribéennes ; échanges avec les anciennes puissances coloniales, la France ayant exporté sa variété, le Portugal son fado et sa saudade ; et enfin, échanges intercontinentaux, les artistes et leurs orchestres étant mobiles, s'installant d'un pays à l'autre, collectant et essaimant au passage de nouveaux sons. La musique africaine, en effet, n'est pas une génération spontanée, ni la résurgence de sons immémoriaux issus du fond des âges. Elle est aussi moderne que ces rock, funk, reggae et hip-hop, avec lesquels elle multiplie les dialogues.

Bref, comme avec le livre sur le reggae, et peut-être même plus, le sujet est maitrisé, l'érudition est impressionnante. Les seules limites du livre, en fait, tiennent à la densité du thème. Les musiques africaines sont si riches (l'auteur lui-même le souligne, présenter en 200 pages 50 ans d'histoire musicale de tout un continent est une mission impossible) que l'introduction aurait gagné à être plus longue, histoire de situer les différentes sons et mouvements, tendances et traditions, ères et aires, qui les structurent. D'emblée, le lecteur se trouve projeté au sein d'une nuée de références et de noms, sans grands points de repères.

Aussi, la rédaction se montre parfois approximative. Malgré un enthousiasme toujours communicatif (ici, pas de chroniques sous forme de fiches factuelles et désincarnées, on a vraiment envie d'écouter tous ces disques), les textes sont souvent plus brouillon qu'avec Reggae 100. Ainsi de l'article sur Cesaria Evora, où l'auteur nous relate deux fois le début de sa carrière, en des termes quasi identiques ("en pleine déliquescence du colonialisme portugais"). Et les tics d'écriture (je jette la pierre avec réticence, je sais trop bien qu'il est délicat de renouveler son vocabulaire quand on écrit des articles à la chaîne) sont nombreux. Ainsi voit-on l'adjectif "lacrymal" utilisé dans une chronique sur dix au moins, et le mot "prolixe" employé plusieurs fois à contresens, à la place de "prolifique".

Cela ne gâche pas grand-chose, toutefois, car le livre atteint amplement son objectif : mettre en appétit, donner envie d'explorer tout un continent musical, et ouvrir quelques pistes pour faciliter le voyage. Il y a plein à voir et à manger ici, tout spécialement pour moi : car pour la toute première fois, en effet, un livre de la même collection ne contient dans sa sélection aucun album que j'aie déjà.