Epic, c'était une voix suave, un phrasé débonnaire, avec des mots qui sentaient la fausse ingénuité, l'ironie douce, une dérision gentille. C'était aussi, avec son attitude timorée et ses cheveux blancs, un look inconcevable pour un rappeur normal. Le Canadien, qui n'était pourtant alors si vieux qu'il en avait l'air, ne manquait d'ailleurs pas de s'amuser de son apparence et de son âge, à plusieurs reprises ("Old Guys are Ready to Rock the Mic", "Middle Aged White MC").

EPIC - Local Only

Clothes Horse :: 2004 :: acheter cet album

Sans cesse, avec habileté, celui dont le vrai nom était Erin Carroll jouait du contraste entre son personnage de fonctionnaire rangé et presque quadragénaire, et son amour sincère pour le hip-hop ("My Briefcase is a Weapon"). Il faisait de ce décalage l'essence même de cet album, sa saveur, se livrant ici à un beatboxing improbable ("Where's the Cypher"), donnant ailleurs dans un style battle irréel ("Bring the Heat") et recyclant partout les vieilles rengaines viriles du rap ("peace party people ah ah see you later", "do you know who the fuck I am", etc...). Il le faisait mollement, sans trop y croire, sans que l'on ne sache jamais si c'était de l'hommage ou de sarcasme. Un peu des deux en fait, probablement.

Qu'ils soient signés par Maki, par Muneshine de Lightheaded ou par son producteur habituel, Soso, par ailleurs le patron de son label, les beats portaient tous la même marque : ils étaient extraordinairement dépouillés, presque cliniques. Un timbre, une boucle, une rythmique, voilà à quoi se résumaient la plupart des instrumentations, par ailleurs limitées à la sainte trinité piano, guitare, et bidouilleries électroniques. Et cela se révélait suffisant, largement. C'était même souvent excellent, tant Soso, dont les beats étaient ici les meilleurs, maîtrisait son affaire. Sûr de son fait, celui-ci s'autorisait même un petit solo de piano sur une dixième plage sans titre, un solo joli comme tout, voire carrément magnifique.

C'était là l'un des rares moments, avec les contributions ponctuelles de Soso, Conspiracy, Pip Skid, Micill Write de Frek Sho au micro, où quelqu'un volait la vedette à Epic. Tout le reste était réservé à son rap narquois mais adroit. "Mon argot, je le tiens de mon grand-père, pas de Kardinal Offishal", proclamait le rappeur sur "It Ain't Easy", résumant ainsi sa philosophie : ne pas se prétendre un autre, tirer profit de son identité contraire aux canons du rap pour livrer son album à lui, son œuvre personnelle. Et tant pis si cela signifiait qu'il resterait "local only", et qu'il peinerait à faire parler de lui au-delà des frontières étroites de Saskatoon.