Poétesse arrivée au rap par la pratique du slam, auteure en 2009 d'un ouvrage littéraire, Spiral Bound, et à ses heures perdues professeure de musique, Dessa Darling est un fantasme pour les amateurs de hip-hop respectable, pour les gens soucieux d'un rap qui se positionne, pour reprendre un vieux poncif, "à mille lieux des clichés du gangsta rap". Cependant, la seule femme du collectif Doomtree ne doit pas faire fuir les autres, ceux qui savent que la musique ne doit pas s'apprécier en fonction de préjugés esthétiques ou moraux. Car en plus de présenter une face présentable à ta grand-mère, celle dont le vrai nom est Margret Wander n'oublie pas d'enregistrer de bons albums, parmi lesquels le premier, A Badly Broken Code.

DESSA - A Badly Broken Code

Cette sortie a tous les traits d'un rap très propre sur lui. Le parti-pris est littéraire, les textes sont riches en métaphores, Dessa apprécie les figures de style. Les thèmes, souvenirs d'enfance et amour fraternel sur "Children’s Work", déboires relationnels sur "Mineshaft II" et "Go Home", amitié indéfectible sur "Crew", sont plus proches du registre mature et intimiste des singers-songwriters de la pop des années 70 que du tout-venant hip-hop. Le rap de Dessa n'est même pas tout à fait du rap. Cette artiste, en effet, porte en elle sa formation originale, optant plus souvent pour la slam poetry, pour le spoken word, que pour un flow qui jouerait pour de bon avec les beats. Elle chante, aussi, et souvent. Elle le fait même a cappella sur "Poor Atlas", comme elle en a l'habitude avec son autre groupe, 100% féminin, les Boy Sopranos.

Sa musique enfin, produite en plus d'elle-même par plusieurs membres ou proches de Doomtree (MK Larada, Lazerbeak, Cecil Otter, Paper Tiger), est ouverte aux "vrais" instruments, qu'ils soient joués en l'état ou qu'ils soient samplés. Surtout, elle est diverse, passant du son jazzy et du refrain R&B de "Dixon’s Girl", à la guitare électrique et au violon du diablement bon "Mineshaft II", et puis plus tard, aux exotiques accents Est-Européens de "Matches to Paper Dolls", au plus franchement rap "Seamstress", à la guitare hawaïenne de "Crew", et à "The Chaconne", un titre hanté, emmené dans une veine très Antony and the Johnsons par la voix de Matthew Santos, un artiste local qui s'était déjà distingué auprès de… Lupe Fiasco.

Ces titres sont variés, mais tous sont réussis. Ils tirent vers le haut ce disque de rap que tu peux, une fois n'est pas coutume, partager sans risque avec tous les bien-pensants.

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