Les inconnus les plus connus. Ainsi les membres de la Three 6 Mafia se désignaient-ils sur cet album, égrainant quelques-uns de leurs hymnes du passé. Nos rappeurs de Memphis, en effet, se considéraient comme les plus influents de l’underground. Dans le milieu des années 90, déjà, à tort ou à raison, ils avaient accusé Bone Thugs-N-Harmony d’avoir fait leur beurre en leur chipant leur imagerie macabre. Un peu plus tard, ils avaient anticipé le crunk avec leur rap de club braillé. Et désormais, en 2005, alors qu’ils étaient sur une major et portés par le triomphe du rap sudiste, ils semblaient réclamer le succès qui leur était dû.

THREE 6 MAFIA - Most Known Unknown

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Pour le groupe à géométrie variable des rappeurs et producteurs Juicy J et DJ Paul, cet album serait donc celui de la consécration. Et cela, grâce à un single retentissant, le plus gros tube de leur carrière, un "Stay Fly" déclamé avec Young Buck et 8Ball & MJG, autres rappeurs éminents du Tennessee. Cette ode à la drogue confirmait la nature outrancière et infréquentable de Three 6 Mafia. Pourtant, elle ne leur ressemblait pas tout à fait, avec sa coloration soul et son rap double-time. Et c’est peut-être pour cela, pour sa différence, que de nombreux critiques ont considéré que ce titre dépassait tous les autres sur l’album.

Cependant, ils avaient tort. Most Known Unknown était presque intégralement bien. C’est juste que les autres titres, malgré des atours mélodiques inédits ("Hard Hittaz", "Pussy Got Ya Hooked" et les violons de "Side 2 Side"), nous ramenaient au registre habituel à ces thugs ultimes du Dirty South, à ce rap sale, gothique et poisseux de tous les excès, à ces gros synthés d’outre-tombe qui tachent ("Knock Tha Black Off Yo Ass"), à ce tempo lent et sépulcral ("Swervin’"), à ces chœurs machos et graves de gangsters mal dégrossis, à ces paroles effrayantes où il était question dans les termes les plus crus de crack, de violence et de sexe. Des paroles qui ne s’embarrassaient pas de virtuosité verbale, et à cause desquelles nos amis ont été longtemps cantonnés aux tréfonds de la scène rap. Des paroles parfois même absolument abominables, par exemple sur "Let's Plan a Robbery", quand DJ Paul se décrit en violeur, flingue pointé sur le dos de sa victime.

Seulement voilà. Après dix ans, il était temps de passer outre toute réserve morale ou esthétique, et de réaliser que Three 6 Mafia, ça vous prenait à la gorge. Que c'était bien, vraiment bien. Et qu’ils avaient gagné le droit de cartonner, et de pousser l’indécence jusqu’à empocher, l’année d’après, un Oscar improbable.