Si The Score a gagné une place de choix dans l'histoire du hip-hop, ce n'est pas nécessairement qu'il a été un chef d'œuvre. Cet album, cela a souvent été dit, était très inégal. Comme beaucoup de disques de rap, certes. Comme de nombreux autres classiques hip-hop. Mais plus encore. Car ici, ce sont vraiment les singles qui surnagent, ce sont eux qui portent tout le reste. Mais quels singles !

FUGEES - The Score

Ruffhouse / Columbia:: 1996 :: acheter cet album

D'abord il y eut "Fu-Gee-La", le premier carton des Fugees, un titre transporté par les "Ooo La La La" mémorables de Lauryn Hill et par une petite mélodie étrange et évanescente. Puis une reprise du déjà splendide "Killing Me Softly with His Song". Ensuite, un très noir "Ready or Not", encore supérieur aux deux précédents, qu'un certain Barack Obama a déclaré un jour être sa chanson préférée. Et enfin, un tout petit peu moins marquante, une relecture du "No Woman No Cry" de Bob Marley.

Avec ces quatre grosses réussites, en cette ère sombre dominée par des 2Pac, Biggie et autres thugs, les Fugees redonnaient des couleurs au hip-hop alternatif, ce contraire du rap gangsta auquel le trio s'était pourtant essayé sur l'album précédent. Et ils y parvenaient avec une recette simple, employée sur chacun de ces quatre titres : le retour à une variété internationale de qualité, le recours sans réserve à des chants magnifiés par la belle voix légèrement éraillée de Lauryn Hill.

Chaque single, d'ailleurs, était la relecture ou l'extrapolation de la chanson d'un autre artiste, non hip-hop, respectivement Teena Marie, Roberta Flack, les Delphonics et Bob Marley. Au moment même où le rap, en dépit de son succès considérable, menaçait de s'enfermer dans son orthodoxie, les Fugees, s'appuyant sur les racines caribéennes de ses membres, décidaient de l'ouvrir au reggae, ainsi qu'au R&B ; le véritable R&B, pas celui des fausses divas soul roucoulantes.

Lauryn Hill, Pras Michel et Wyclef Jean, cependant, ne perdaient rien du mordant de leurs contemporains. Ils ne trahissaient pas le hip-hop, ils ne l'affadissaient pas, ils restaient connectés au ghetto. Quand leur rap engagé s'attaquait à la police ("The Beast"), c'était toujours avec férocité. Et quand ils s'opposaient au rap gangsta, c'était de manière corrosive ("Cowboys") et dans ses termes très explicites. En témoignait, en conclusion du couplet de Lauryn Hill sur "Ready or Not", ces mots qui résumaient son profil à la fois doux et incandescent : "pendant que tu imites Al Capone, je suis Nina Simone, et je défèque sur ton microphone".