Plus forte est la hype, plus les opinions sont tranchées. Odd Future l'a confirmé, quand le collectif de Los Angeles est devenu la sensation hip-hop du début des années 2010 et qu'il a porté en lui, pour certains, les espoirs d'une renaissance. Cet engouement a obligé chacun à choisir son camp : pour ou contre. Et c'est bien dommage, car ce que mérite Goblin, le premier album de Tyler, the Creator, c'est un avis nuancé.

TYLER, THE CREATOR - Goblin

Tout d'abord, expédions rapidement ce débat continu mais inutile sur les propos, sur cette surenchère verbale qui caractérise ce groupe, sur ces giclées de bile inouïes où il est question de meurtres, de viols, de prostitution, de nécrophilie, d'homophobie, et pire encore. Nul besoin de ressortir toutes ces objections pudibondes aussi vieilles que les polémiques sur le gangsta rap, étrangères à toute considération esthétique, et auxquelles Tyler répond de la meilleure des manières, en précisant d'entrée qu'il n'est pas un role model.

Cette barbarie extrême, c'est d’ailleurs, précisément, l'intérêt majeur d'Odd Future. Avec ces hommes d'à peine vingt ans, le rap est redevenu une musique viscérale et adolescente, il dépasse ses habitudes et ses routines. Tyler et ses acolytes ont redonné au genre ses couleurs sulfureuses d'autrefois, ils les ont rendues plus éclatantes, plus vives. Ou plus sombres, bien au contraire. Leurs outrances, toutefois, ne sont plus celles, mêlées de réalisme social, de l'antique gangsta rap. Comme s'il avait retenu quelque chose du rap indé introspectif de la décennie précédente, Tyler, the Creator ne parle pas du ghetto, mais uniquement de son aliénation mentale, de ses démons intérieurs, des voix qui hantent son esprit.

Ce faisant, malgré des moments insoutenables (ou délectables, selon le point de vue), son autoportrait est plus complexe qu'il n'y parait. Le jeune rappeur se montre ainsi tout aussi love sur "Her" qu'il est misogyne sur "She", il se méfie de la drogue sur "Nightmare", il lutte avec sa conscience sur l'excellent "Yonkers". Plus noir encore que la mixtape Bastard, qui l'a précédé, Goblin se distingue également par des coups de force musicaux, comme "Yonkers", "Radicals", le haineux "Sandwitches" et l'explicite "Bitch Suck Dick", tous des titres effroyables et abrasifs, dans les mêmes tons que la voix rugueuse de Tyler, et néanmoins très accrocheurs.

La nuance dont il était question plus haut ne se rapporte finalement qu'à l'inconstance de Goblin. Des "Nightmare" et "Tron Cat" dont le beat minimal et le monologue intérieur confinent à l'ennui, un "She" R&Bisant, ou encore la nappe lassante de "Window", viennent fâcheusement gâter le premier album officiel de ce collectif qui, de toute façon, avant même cette sortie, et indépendamment de sa qualité, a déjà gagné sa place dans l'histoire imprévisible et agitée du rap.

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