Le Japon, c'est loin, c'est exotique, et ce n'est pas nécessairement la première contrée qui vient à l'esprit quand on parle de hip-hop. Ce pays, pourtant, en a produit, et de première qualité. A côté d'une scène qui, comme partout ailleurs, s'est contentée de décliner dans la langue locale les formules inventées aux Etats-Unis, il a existé des rappeurs incontestablement différents, personnels, profondément nippons.

THA BLUE HERB - Stilling, Still Dreaming

Beaucoup penseront spontanément à DJ Krush qui, en pleine époque abstract hip-hop, est apparu comme l'homologue oriental de DJ Shadow. Moins de gens, cependant, connaitront le rappeur Ill-Bosstino et le producteur O.N.O., bien que Krush les aient portés à l'attention du monde occidental en les conviant sur les albums Code 4109 et Zen. Originaire de l'île nordique d'Hokkaido, soit le bout du monde, ce duo (renforcé plus tard par DJ Dye) n'en a pas moins livré de vrais joyaux, à commencer par ce premier album sorti en 1998, Stilling, Still Dreaming, premier volet d'une carrière longue, riche et globalement irréprochable.

La difficulté, avec le japonais, c'est qu'il ne colle pas forcément au phrasé saccadé caractéristique du rap. Mais qu'importe, Boss part dans de longues déclamations hors rythme. La plupart d’entre nous ne comprennent bien sûr absolument rien. Mais il y a une urgence dans le flow, une franchise dans la voix, qui vous prennent de suite à la gorge.

Et puis, pour l'accompagner, il y a ces beats admirables produits par O.N.O., ces sons qui forcent sur les ambiances, dans un registre cousin de celui de Krush, mais plus sobres, plus directs. De bonnes boucles, quoi, parsemées d'infimes et décisives variations, cette vieille recette, mais aux couleurs indubitablement nipponnes, éloignée des us new-yorkais.

Résultat : des "Bossizm" et "Raging Bull" aux cordes enlevées ; un "Coast 2 Coast 2" percutant ; un "Continuation Decaying Touching" poignant tout en guitare ; un "Just That Night" conquérant ; un "Wheel Of Pen And Intelligence" plaisamment dissonant ; un noir et pesant "Shock-Shine No" ; un "Ame Ni Mo Makez" au violon enflammé ; et un "North Wind" splendide avec son piano inquiétant.

Fort de ces perles, enfilées qui plus est en crescendo, Stilling, Still Dreaming dément tous les préjugés sur le hip-hop : que seuls les Afro-Américains en maîtriseraient l'art, qu'il nécessiterait d'être intelligible pour être aimé, que le slam et le rap off-beat seraient des exercices pénibles. Bien plus que de la manifestation d'une scène exotique et singulière, il s'agit là d'un disque de classe mondiale, d'un classique du même niveau, oui, que les plus grands albums de rap américain.

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