Living Legends :: 2000 :: acheter ce disque

La réponse, peut-être, est à trouver dans les disques les plus appréciés des fans, dans cette poignée d’albums sortis autour de l’an 2000, et régulièrement cités comme des références, parmi lesquels Heavenbound. A l'écouter, à le réexaminer dix ans plus tard, le troisième solo de Scarub ne légitime pas sa réputation, et en cela il est emblématique du groupe dont il vient. A l’image de la discographie des Living Legends, il est bien trop long, il empile les fillers. Et ses beats, signés essentiellement par le rappeur lui-même, sont sans surprise, faciles, pas folichons.

Il y a des réussites, "Complications", "Colorful Thoughts", "Wishful Thinking" et "Heavenbound", par exemple, les boucles de piano convenant bien au flow du MC. On retrouvait aussi avec plaisir la patte caractéristique de beatmakers bien plus inspirés que Scarub lui-même, comme Eligh, avec les délicats tintements qu’il offre à "Filling Space", et comme Omid, avec la flûte très inhabituelle de "Savvy Traveler". Même The Grouch s’en sort très bien avec la guitare hawaïenne de "For What It's Worth / L.I.F.E.". Et ce "Shadows" rappé en duo avec Amazon bénéficie d’une très belle production de Belief. Mais écouter l’ensemble tout à la suite est éprouvant, ennuyeux, pas sexy, tout particulièrement au cœur de l’album, dans ce ventre mou composé de "One Love", de "Audio", de "Guessing Game", ou de la flûte de pan et des "oh-oh ah-ah" saoulant de "Good Times". Tout cela pèche par manque d’inspiration, par son souffle court et son déficit de variations.

Cependant, l’album remplissait à merveille le cahier des charges du parfait fan d'undie hip-hop. Il était représentatif d’un rap qui a voulu mûrir sans rien renier de son identité, de ses liens avec le monde afro-américain. Avec ses leçons de vie déclamées d’une manière posée, avec ces réflexions sur les rapports avec les femmes qui dépassent l’habituelle misogynie prêtée au genre ("Shadows" et "Wishful Thinking"), avec un langage qui flirte avec la poésie et l’onirisme ("Savvy Traveler"), Scarub prend la posture idéale du sage poète de la rue, de la canaille qui a grandi, du rappeur devenu adulte. Ce hip-hop de bon aloi peut à l’occasion faire preuve d’audace, mais point trop n’en faut, histoire de ne pas effaroucher les amateurs de boom bap. Le type rappe bien, il fait le travail, mais ça n’est jamais véritablement renversant. Il vit sur ses acquis, sur ce statut qu’il doit à son rôle dans le mythe originel qu’a été l’épopée de Log Cabin et des 3 Melancholy Gypsys.

Qu’importe si les Living Legends sont les artistes les plus surestimés du rap indé, s’ils sont bien meilleurs sur scène qu'en studio, si leurs productions les plus excitantes ont été signées Eligh et The Grouch (tiens, les deux Blancs du groupe) et que les autres, si l’on force le trait, semblent là pour conforter leur crédibilité afro-américaine. A tout groupe important, il faut trouver des œuvres de référence, et cet Heavenbound, pourtant mi-figue, mi-raisin, fait tout à fait l’affaire.

A lire aussi, cette vieille chronique de l’ami Lomi, qui faisait à peu près le même diagnostic sur Heavenbound, mais en tirait une conclusion plus favorable.