Epaulé à la production par Organized Noize, et responsable dans les années 90 de trois albums majeurs, Outkast est déjà, en 2000, le duo de la grande synthèse, les seuls rappeurs à concilier à un tel degré succès commercial, unanimité critique, exigence artistique et street credibility. Avec ce Stankonia poussant plus loin les expériences électroniques déjà manifestes sur Aquemini, ils vont pourtant plus loin encore.

OUTKAST - Stankonia

Avec son improbable cocktail de rythmes drum'n'bass, de flows hypersoniques, de guitares heavy et de chœurs d'enfants guerriers, retour heureux à l'esprit du Bomb Squad, le titre avant-coureur "Bombs over Baghdad" n'a pas trompé sur la marchandise. Pas plus que "Ms. Jackson", un second single imparable, mélange époustouflant entre un piano, un fond musical synthétique et les voix soul chères à OutKast. Stankonia, leur quatrième album, est bien LA bombe, un classique bluffant et évident comme il en est sorti finalement peu, même dans les périodes les plus fastes pour le rap.

Pour l'occasion, André 3000 et Big Boi se sont inspirés en partie de la rave culture. Mais assimilées, digérées, cuisinées à la mode sudiste, ces influences ne ressemblent à rien de connu. Dans quel genre, en effet, ranger l'inquiétant "Gangsta Shit" et ses voix d'outre-tombe ? Ou bien un "Slum Beautiful" bizarrement surmonté par la voix d'un toaster ? Ou encore les zigouigouis synthétiques qui pointent leur nez sur "I Call Before I Come" ? Qu'en est-il des divagations de "Snappin and Trappin" ? Et que dire de la fin instrumentale, libre et étonnante, de "Question Mark" ? Est-ce de la blip music, ou l'ultime mutation de l'electro rap d'autrefois ?

Le duo n'a pourtant rien renié de ses racines soul et funk. Certains titres, forçant sur les voix de fausset, portent ses traces, comme "Spaghetti Junction" et "Humble Mumble", merveille up-tempo accompagnée par Erykah Badu. Le duo fait aussi son marché du côté du rock, jouant de guitares fuzz sur "Gasoline Dreams". Leur label a bien essayé de leur interdire ces instruments, mais le duo s'est montré intraitable. Outkast a aussi éparpillé ici quelques nuances jamaïcaines, sur "Slum Beautiful" et "Snappin and Trappin".

Au bout du compte, il est difficile de trouver un défaut à ce Stankonia hors catégorie. Et quand bien même il y en aurait, que peseraient-ils face à l'estocade finale, au sublime, à l'affolant, à l'impensable "Stanklove", longue merveille soul et surréaliste ? Entre un hip-hop expérimental de plus en plus blanc et un rap noir de plus en plus sclérosé, Outkast écrase décidément toute concurrence. Libre, inventif, décomplexé, le duo confirme, encore et encore, qu'il est infaillible, comme aucun groupe de rap ou presque ne l'a été avant lui.

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