Masta Ace, c'est l'une des valeurs sûres du rap, l'un de ses rares praticiens qui, sans occuper le tout premier plan, est demeuré alerte, pertinent et solide de la fin des années 80 au cœur de la décennie 2000. Le New-Yorkais a débuté auprès du Juice Crew, le collectif assemblé par le premier grand beatmaker du hip-hop, Marley Marl, et en 1988, il a participé au posse cut culte "The Symphony". En 1990, son premier album, Take a Look Around, porté par le succès du single "Me & the Biz", est produit par Marl et il sort sur son label, Cold Chillin'. Et dix ou vingt années plus tard, Masta Ace livre encore de grands disques, tels que Disposable Arts.

MASTA ACE INCORPORATED - Slaughtahouse

Slaughtahouse est, sans doute, le sommet de cette carrière riche. En 1993, pour son second album, notre homme revient dans une nouvelle configuration. L'ancien Master Ace est devenu Masta Ace et, désormais entouré d'un groupe (Masta Ace Incorporated) constitué de Lord Digga, Eyceurokk, Paula Perry et de la chanteuse Leschea, il se renouvelle.

Au cours des trois années qui ont séparé cet album du précédent, le hip-hop a encore muté à une vitesse supersonique, le style gangsta et le g-funk californiens ayant volé la vedette au rap new-yorkais. Mais Masta Ace prouve qu'il est resté à l'écoute, en sortant un album qui intègre à son rap East Coast, jazzy, dur et au bord de l'expérimentation, les sons plus chaleureux apparus à l'autre bout des Etats-Unis.

Toutefois, il ne faut pas compter sur Masta Ace pour hurler avec les loups. C'est un œil critique que notre homme, l'un des plus malins et lucides qu'ait compté le rap, jette sur ses contemporains. C'est un ton corrosif qu'il emploie à leur encontre. Dès "A Walk Thru the Valley", un spoken word qui décrit ce qui ne tourne pas rond dans la communauté afro-américaine, le registre employé est clair : c'est du hip-hop engagé, du conscious rap, mais sans prêche ni naïveté.

Masta Ace et ses complices s'en prennent à l'occasion aux policiers bornés, sur l'excellent et le bondissant "Jeep Ass Nigguh", mais c'est leur pairs qu'ils visent en premier lieu, pour ce qu'ils ont fait des quartiers ("Late Model Sedan", "The Big East"). Avec jubilation, le rappeur use de la caricature pour tourner en dérision les gangsta rappers, sur l'instrumentation branlante et pleine de surprises de "Slaughtahouse", ou alors plus tard sur le brillant "Boom Bashin'".

Sur cet album, c'est de toute la mythologie du criminel dont Masta Ace se moque, par exemple avec le dialogue de "Who U Jackin", où un gangster se fait rabattre le caquet par une femme, ou sur le brillant "Jack B. Nimble", quand est mise en scène la fuite sans issue d'un délinquant minable. Masta Ace, cependant, ne se contente pas de se moquer. Il prouve aussi sa supériorité sur les morceaux finaux, des "The Mad Wunz", "Ain't U da Masta", "Crazy Drunken Style" et "Saturday Nite", où il privilégie l'égo-trip et le style battle.

Sorti en 1993, l'année où New-York reprend à Los Angeles la couronne du rap, où le Golden Age a définitivement cédé la place à une autre ère, violente et sombre, le deuxième Masta Ace concilie le meilleur des deux scènes et des deux époques. Il dévoile un rap à message mais ludique, une posture hardcore, mais qui garde la nature joueuse du hip-hop originel.

Et pour ne rien gâcher, les beats, tubesques sur "Saturday Nite", malsains et lents sur "Boom Bashin'", haletants sur "Style Wars" et sur "Crazy Drunken Style", sont exceptionnels, à tel point que seule l'absence de goût peut expliquer que Slaughtahouse, un disque au meilleur niveau de ces années-là, n'ait pas connu un bien plus grand retentissement.

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