Voilà. Ca sera donc lui, Kanye, qui portera haut les couleurs du rap dans les années 2000. Il sera sa star, son porte-drapeau, à égalité avec un Jay-Z dans l'ombre duquel il est apparu. Notre homme, en effet, s'est d'abord fait connaître en produisant quelques titres du très prisé The Blueprint. Ayant collaboré aussi avec Jermaine Dupri, Mase, Goodie Mob et l'ensemble de l'écurie Roc-A-Fella, il est un produit de l'intelligentsia rap. Et pourtant, son premier album est à rebours du hip-hop grand public tel qu'il se pratique alors.

KANYE WEST - The College Dropout

A l'image de sa pochette décalée, il est en rupture avec la mystique du gros dur qui domine alors, et qui a atteint son sommet l'année d'avant avec le succès de 50 Cent. Kanye West, lui, n'a pas grandi dans la rue, il est issu de la classe moyenne. Son registre est donc différent. Il est plus personnel, plus intime. Il s'épanche sur sa vie sur le long finale "Last Call", traite du racisme au travers de son vécu personnel ("Never Let Me Down"), se confie sur l'accident qui a failli lui coûter la vie ("Through the Wire"), relate son expérience scolaire ("School Spirit"), ou parle de sa famille ("Family Business") et de sa relation au Christ ("Jesus Walks").

Le rappeur se fait chroniqueur social, mais de manière assez ambigüe et contradictoire, critiquant le consumérisme sur "All Falls Down" tout en reconnaissant en être la victime, célébrant et dénonçant à la fois la drogue sur "We Don't Care". Brouillant les frontières, West concilie les deux hip-hop, celui des m'as-tu-vu flamboyants de Roc-A-Fella et le rap conscient de Talib Kweli et Common, d'ailleurs invités sur ce disque. Il réunit même les deux registres au sein d'un seul titre, cet étincelant "Two Words" avec Mos Def et Freeway.

La rupture concerne aussi les beats. Avec Kanye, le hip-hop prend un tour inhabituellement mélodique et luxuriant, en recourant abondamment aux chants, au violon de Miri Ben-Ari et à ces samples de soul accélérés qui sont signature. Mieux que n'importe quel autre rap, celui-ci s'inscrit dans la Great Black Music. Le rappeur lui rend un hommage appuyé sur "Slow Jamz" et explore ses vieux thèmes, la libération, l'afro-futurisme, avec "I'll Fly Away" et "Spaceship".

Apprécié autant de la critique que du public, Kanye West ne fera toutefois pas l'unanimité. Quelle que soit la qualité de ses textes et de ses sons, il n'est pas un MC d'exception. Ceux pour qui du bon rap, c'est avant tout un bon rappeur, n'y trouvent pas leur compte. Ils devront pourtant se faire une raison : à l'aube du nouveau siècle, le rap, ce sera Kanye.

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