Ramona Records :: 2003 :: acheter ce disque

Adeem, des Dorian Three, s'est distingué avant tout en devenant le seul rappeur à remporter deux fois le Scribble Jam. Sur cet album pourtant, il ne donnait pas dans le style battle. En passant de la scène à l'œuvre enregistrée, il préférait se faire introspectif, voire dépressif ("Winners never Sleep"), malgré quelques sujets plus légers, comme le plaisir des virées en Honda Civic ("Jump in Lilly"). Ce professionnel du micro, bien que volubile, doté d'un flow plastique (cf. le débit rapide de "Elbow Room") et praticien occasionnel du spoken word ("Seconds Away"), savait aussi se taire pour laisser parler les beats, en début et en fin de "Lullaby for the Sun", avec l'instrumental "Land in the Sea", avec la guitare et les roulis de batterie de "1970", ou avec "Plays her Piano" (merci Schubert).

Ces pauses, les beats les méritaient, car ils étaient signés par le producteur le plus fin de la scène indé de Chicago. Maker, comme toujours, privilégiait la subtilité à l'esbroufe et au tintamarre. Pour souligner l'humeur mélancolique d'Adeem, il nous offrait de beaux instrumentaux vespéraux lorgnant vers le trip-hop (l'introduction de "Lullaby for the Sun" et, de façon moins réussie, "Mixing Excuses"). Sans secouer les habitudes du rap, il élargissait son horizon musical, cherchant ses samples dans un champ large, des orgues virevoltantes de "Goodbye" aux sitars du prodigieux "Haunt". Il donnait aussi dans un guitar rap de saison sur "Fighting Ends", et il se permettait des audaces, comme la rupture de "No Helping", ainsi que les trois mouvements, tous excellents, du mémorable "Winners never Sleep".

Quant à DJ DQ, il apportait exactement ce qu'il fallait de scratches récréatifs et dynamiques ("Country Funk"). Cela, comme le reste, n'était pas une nouveauté dans le monde du hip-hop. Mais dans la grande famille rap indé, Glue était pile à la bonne place : héritiers du boom bap, ils n'essayaient pas pour autant de ressusciter une époque révolue ; tentant quelques audaces, ils n'en faisaient pas leur seul argument de vente. Nos trois compères étaient animés par l'envie de bâtir de vrais bons albums plutôt que de signer des manifestes. Voilà pourquoi Seconds Away, à un "John Kimball" peu inspiré près, est demeurée cette œuvre pérenne, impérissable et longue en bouche, qu'on ne se lasse jamais d'écouter.