A l'inverse de ces Beatles, Stones, Pink Floyd, Led Zep et autres sur lesquels ils crachaient (et qu'ils ont pourtant fini par rejoindre au panthéon du rock 'n' roll), la carrière des Sex Pistols a été météorique. Fondé en 1975, sensation underground en 1976, phénomène médiatique en 1977, quasiment dissous en 1978, et morts (au sens propre du terme pour l'un de ses membres) en 1979, le groupe n'a eu le temps de livrer qu'un seul album digne de ce nom. Il semble qu'avec eux, le temps s'est accéléré, qu'ils ont traversé en deux années ce que d'autres groupes ont vécu sur une décennie. Preuve de cette frénésie, un an après avoir été révélés au grand public, un livre dressait déjà une rétrospective de leur histoire, traduite en français par Francis Dordor, et que Le Mot et le Reste réédite aujourd'hui.

FRED & JUDY VERMOREL - Sex Pistols, L'Aventure Intérieure

Le Mot et le Reste :: 1978 / 1987 / 2011
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Traduit de l'anglais par Francis Dordor

On aurait pu craindre de ce livre qu'il sombre sur deux écueils : rédigé à chaud, en pleine furie punk, il aurait pu manquer de distance et sembler dépassé en 2011 ; assemblé par deux proches de Malcolm McLaren, il aurait pu être un ouvrage à sa gloire, et cultiver le mythe du Pygmalion manipulateur que le manager des Pistols s'est lui-même plu à entretenir. Mais que nenni. The Sex Pistols: Inside Story, selon son titre original, franchit allégrement ces deux obstacles.

Fred était un vieil ami de McLaren. Mais si ce livre, co-rédigé avec son épouse, s'ouvre en taxant ce dernier de génie, s'il se termine par une biographie montrant à quel point le fantasque Ecossais était un être original et plein de ressources, il laisse aussi la paroles à d'autres, journalistes, professionnels de la musique, moins enthousiastes sur le rouquin. Sans oublier les Sex Pistols eux-mêmes, soucieux de nier toute manipulation, désignant leur manager, parfois avec un grand mépris, comme une sorte de mal nécessaire, comme le seul fou qui eut le courage de les prendre en main. Et comme, finalement, McLaren lui-même a refusé de contribuer au livre de son ami, de l'aveu de Johnny Rotten, son rôle n'en est que relativisé.

Parce qu'il a été écrit avant même qu'il n'existe, le livre n'entretient pas le mythe Sex Pistols. Né dans l'instant, en prise direct avec les membres du groupe, il les montre tels quels, déconneurs, iconoclastes et parfois acariâtres (sans surprise, la prime va à John Lydon), tantôt très perspicaces, d'autres fois profondément immatures (avantage à Sid Vicious cette fois), mais toujours humains. L'immense postérité du punk n'est pas encore connue, le genre est même plutôt en berne, en 1978. Et l'épopée des Pistols ne s'est pas encore conclue par le meurtre de Nancy Spungen et l'overdose de Sid Vicious. Quelques articles ont été ajoutés par la suite pour relater cette fin glauque et pathétique, mais la greffe fonctionne mal, le ton tragique jure et tranche avec le contenu plutôt léger du reste de l'ouvrage.

Ecrire un livre sur le groupe le plus scandaleux de l'époque était casse-gueule : le faire avec sérieux ne convenait pas à l'esprit Sex Pistols, le rédiger à la manière d'une blague faisait injure à leur portée et à leur importance. Les Vermorel ont donc préféré laisser les autres s'exprimer. Ils n'ont écrit presque aucun mot, procédant par collages, compilant interviews du groupe, de ses proches ou de ses contempteurs, coupures de presse, extraits de chansons, de films ou d'émissions télé, journal intime de la secrétaire de Malcolm McLaren, et même poésies de John Keats. Et ils ont agencé tout cela de manière à retracer l'histoire des Pistols, à en présenter chaque membre, et à aborder quelques thèmes liés au groupe.

En laissant s'exprimer des opinions contraires, celles du groupe lui-même, celles d'une industrie du disque embarrassée, celles de politiques à côté de la plaque, le couple Vermorel nous ramène directement en 1978. Il trouve aussi un équilibre parfait entre la légèreté, l'humour et les considérations culturelles, sociales et politiques. On rit quand Maman Cook confie n'avoir retenu de l'émission de Grundy que les habits repassés la semaine d'avant pour son cher petit Paul. On s'instruit avec cet article conclusif qui démontre l'influence des Situationnistes sur le punk.

La biographie définitive des Sex Pistols n'est pas ce livre. Elle est le pavé fouillé de John Savage, England's Dreaming, rédigé en 1991 et réédité plusieurs fois depuis. Mais en restituant l'atmosphère de l'époque, sans déformation, avec transparence et honnêteté, l'ouvrage des Vermorel est bien plus qu'un simple complément.