Le Mot et le Reste :: 2011 :: acheter ce livre

Et c'est, à nouveau, une excellente idée. Trop souvent, la carrière d'un artiste est jugée à l'aune de ses albums, de sa production en studio. Mais quid de cette partie majeure de son activité, qui consiste à se produire sur scène, à tester ses chansons au contact du public ? N'est-elle pas la plus importante ? Surtout, comme les auteurs le signalent en introduction, aujourd'hui qu'Internet change la structure de l'industrie de la musique, qu'ils font du concert, à nouveau, par un curieux retour des choses, le principal gagne-pain des rockeurs, stars ou pas.

Pour retracer cette histoire du live dans le rock, les quatre instigateurs de ce gros volume choisissent trois angles. D'abord, dans une introduction limpide et éclairante, ils rappellent, vérité souvent oubliée, qu'il existe des disques live de toutes sortes. S'il y a, en effet, de vrais enregistrements pris sur le fil, la plupart sont retravaillés en studio. Ils sont enrichis par des overdubs, allègrement redécoupés, franchement remaniés. Nombre d'albums compilent aussi des titres issus de concerts différents, et l'ordre des morceaux est souvent changé.

Par ce rappel, Emmanuel Chirache, Christophe Delbrouck, Guillaume Ruffat et Yves Jolivet renvoient dos-à-dos ceux qui considèrent que les albums live sont les plus bruts, les plus sincères, les plus spontanés des artistes, et ceux qui, au contraire, pensent que seul le toilettage intensif d'un passage en studio donne de l'épaisseur aux chansons. Ils rappellent aux deux camps que la séparation entre ces différents types d'enregistrements est en fait sensiblement plus floue qu'il n'y parait.

L'autre angle, particulièrement bienvenu, est une revue des salles de concert mythiques et des festivals légendaires du rock, avec un petit coup de projecteur sur la France. On retrace l'histoire de lieux aussi cotés que les Fillmore, East ou West, et le CBGB. On revient sur Monterey et Woodstock, ainsi que sur leurs lointains descendants, devenus des grand' messes régulières, comme Reading et les All Tomorrow's Parties. Et on ne se limite pas au monde anglo-saxon, puisque le Roskilde danois et le Sziget hongrois ont aussi droit de cité. Ne manque peut-être que l'Espagne avec Benicassim, mais il est bien sûr difficile d'être exhaustif.

Enfin, la dernière démarche, la principale, celle qui est au centre de l'ouvrage, est une revue de disques live importants, une centaine. Ce faisant, les auteurs ne se contentent pas d'une simple critique, ils vont plus loin : souvent, le disque n'est qu'un prétexte pour revenir sur l'ensemble de la discographie live de tel ou tel artiste majeur. Ce long chapitre illustre aussi, à merveille, la diversité des enregistrements en public, de la capture d'un bref instant de grâce au best-of de substitution. Il montre aussi combien les années 2000, avec leur obsession revivaliste, ont été prodigues en rééditions, en officialisation de vieux bootlegs, et en exhumation de concerts d'anthologie par le biais du téléchargement.

Du Live at Newport de Muddy Waters au Trinity Revisited des Cowboy Junkies, en passant par le Live at Leeds incendiaire des Who, par le récemment édité Live at Reading de Nirvana, et par l'excellent Santa Monica '72 de David Bowie, mon chouchou, la sélection est riche en disques qui ont marqué l'histoire du rock en scène. Et les oublis, par exemple le At Budokan de Cheap Trick (la fameuse salle japonaise aurait d'ailleurs pu bénéficier de son propre article), sont rares.

Seul regret, peut-être : les auteurs se sont limités pour l'essentiel aux grosses calibrées du rock, aux plus reconnues, à une histoire officielle de la pop music qui mériterait d'être contestée. Aussi, en fin de livre, s'attachent-ils à citer des albums représentatifs de genres variés, hip-hop avec DJ Shadow, post-rock avec Godspeed You! Black Emperor, électronique avec Daft Punk, revival rock des 2000 avec les White Stripes, sans que ce soient tous des chefs d'œuvres. Ils admettent même, quand ils traitent du Live des Happy Mondays, qui figure en couverture et qui représente Madchester, que ce disque n'est pas une franche réussite.

Une autre approche aurait été de se pencher sur les vraies pépites, sur les vrais bons disques, quitte à en citer 10 pour tel ou tel groupe, à aller chercher des artistes du gouffre, et à ne rien dire des Beatles, puisque sur eux, on ne tient aucun live digne de ce nom. On aurait aimé découvrir davantage de perles, de trésors cachés, à la manière d'un Philippe Robert, auteur de nombreux livres précieux dans la même collection. Mais ici, la démarche a été avant tout documentaire, historique, au détriment de parti-pris plus personnels, plus esthétiques et plus risqués, qui pourraient faire l'objet d'un autre livre éventuel.