Quand on vous disait qu'avec la collection 33 1/3, il y avait un nombre infini de manières de se tirer de l'exercice, qu'il existait mille moyens de rédiger 100 pages sur un classique de la musique... Cet autre volume le démontre encore. Eliot Wilder, en effet, a choisi encore une autre méthode pour parler de son sujet. Et à vrai dire, il ne s'est pas foulé, il est allé au plus simple : plutôt que de se lancer dans une analyse audacieuse, il s'est contenté de retranscrire une longue interview avec DJ Shadow pour retracer l'histoire de l'album fondateur du hip-hop abstrait.

ELIOT WILDER - Endtroducing…

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Et en fait, ce n'est pas plus mal que l'auteur, un musicien de Boston, s'efface devant l'auteur du monumental Endtroducing.... Car les quelques pages qu'il a écrites lui-même, en introduction, ne sont pas franchement folichonnes. Elles sont même parfaitement superflues. On le sait, la critique a toujours été une façon de parler de soi, sous couvert de commenter une œuvre. C'est attendu, c'est de bonne guerre. Mais là, il s'emporte allégrement l'ami Wilder : sur 22 pages, il ne fait rien de plus que de dresser sa propre biographie, de retracer son éducation musicale, de relater son parcours, sans grand rapport avec l'objet du livre, si ce n'est à la fin, quand il range l'album de Shadow parmi ses disques de chevet.

Avec ce livre, les choses sérieuses ne commencent vraiment qu'une fois passé ce préambule inutile, quand Josh Davis en personne revient en détail sur son parcours. Et en fait, il parle peu de l'album. Il raconte plutôt sa vie à lui, son initiation au rap, ses rencontres, son succès, sa naïveté face à l'industrie du disque et la critique, et les différents états d'âme traversés avant, pendant et après l'enregistrement d'Endtroducing.... Ce qui nous est offert ici, c'est un livre intime dédié à une personne, plutôt que l'analyse d'un disque, de son contenu, de son impact. C'est décevant. Mais pour autant, ce n'est pas totalement inintéressant.

Ce qui marque, ce qui est manifeste, quand on passe en revue ses propos, c'est l'appartenance totale et entière de Shadow au hip-hop. Pour tout l'avant Endtroducing…, il n'est question que de cela. Tout son univers est rap, toutes ses références sont hip-hop, elles ne sont rien d'autre. Même quand, au début des années 80, le rap cesse momentanément d'être branché, Shadow s'accroche, il est mordu, il n'aime que cela. Quand un vieux jazzman en quête de respectabilité expose devant lui sa détestation du rap, il s'insurge. Et quand James Lavelle vient le chercher pour sortir des disques chez Mo'Wax, il s'étonne, il ne comprend rien à cette Angleterre qui s'intéresse à lui et qui affuble sa musique d'étiquettes, "acid jazz", "trip hop", "electronica", qui n'ont pour lui aucune signification.

Et c'est ici que le livre d'Eliot Wilder rencontre sa principale limite. L'auteur, l'intervieweur plutôt, vient d'un background quasi exclusivement rock, c'est manifeste tout au long de la biographie introductive. S'instaure ainsi un dialogue de sourd entre lui et un Shadow qui ne partage pas les mêmes références. Wilder, ainsi, ne sait pas exploiter les réponses de son interlocuteur pour les creuser, pour les détailler. On aurait aimé explorer plus avant les influences rap de l'auteur d'Endtroducing…, on aurait voulu qu'il positionne son œuvre dans l'univers du hip-hop, on aurait souhaité quelques mots sur la prolifique scène de la Bay Area dont il est issu, sur Solesides, sur Blackalicious et Latyrx. Mais il n'y a rien de cela.

Aussi, il aurait été intéressant de comprendre pourquoi ce disque issu du hip-hop a pu séduire à ce point au-delà de ce genre. Pourquoi Endtroducing… a-t-il plu ainsi aux Européens, aux rockeurs, aux amateurs de musique électronique, avant même d'impacter l'Amérique et les rappeurs ? Qu'est-ce que l'Angleterre est venue chercher chez ce pur produit de l'Amérique des banlieues blanches ? Pourquoi la critique de Wire, la seule négative jamais écrite sur l'album, était-elle à ce point hors-sujet avec sa comparaison journalistique entre Mo'Wax et Ninja Tune ?

Mais dans ce livre, on ne s'interroge pas, on n'analyse rien, on ne prend pas le moindre risque. On ne fait que reporter les différentes phases émotionnelles traversées par Shadow. On ne fait que s'attarder sur ces détails personnels qui, comme toujours, sont les moins intéressants quand il est question de musique.