Ce disque de Dose One et de Boom Bip est typique de son époque. Même s'il n'est pas sorti chez eux mais chez Mush, il symbolise tant la logique de déconstruction du rap lancée à la fin des années 90 par Anticon, il tutoie l'absurde de si près, qu'on y retourne à reculons, convaincu qu'il ne peut avoir résisté au temps. Qu'aujourd'hui, ça ne peut être que daté, horriblement. Que l'on trouvera ça comme 99% des gens, déjà, à l'époque : horripilant, absolument inécoutable.

DOSE ONE & BOOM BIP - Circle

Mush :: 2000 :: acheter ce disque

Pensez donc. Un album, très long de surcroit, fait tout entier de paroles sans queue ni tête, de phrases tronquées et sans logique, sans narration, prononcées par la voix de canard de Dose One, qui rappe sur tous les flows, qui chantonne, qui murmure, qui sifflote, qui parle, qui psalmodie, qui prêche, qui récite des mantras, qui se la joue a cappella, qui philosophe on ne sait quoi sur Jésus Christ. Et qui finit par avouer : "it's not supposed to make sense". Et puis, en guise d'accompagnement, les bouts de beats pondus par Boom Bip, tantôt atmosphériques, tantôt brutaux, plus proches d'expérimentations électroniques radicales que de boom bap, malgré la présence occasionnelle de scratches.

Et tout cela s'insère sur des compositions, souvent abrégées, interrompues, pleines de surprises et de changements impromptus de direction, sans sens. Toujours sans le moindre sens. Enfin, de surcroit, s'additionnent à cela un tas de sons inattendus, à commencer par les chants d'oiseaux de "The Birdcatcher", suivis par des cris de singes et par des aboiements, sur une suite du même morceau. Ou encore, toujours plus loin, les cloches de "Gin", puis les tambours militaires et l'interminable sonnerie du bien nommé "Goddamn Telephone".

Pourtant, malgré cette bouillie sonore indigeste et ces galimatias, c'est toujours bien. C'est avec plaisir que l'on redécouvre l'instru ambient, ou brésilienne, à vous de juger, de "Dead Man's Teal", le rythmé "Ironish", malgré les bêlements infâmes du début, un violent "Slight" qui réinvente le genre ancien du rap metal, un "Town Crier's Walk" instrumental et joliment rétro avec son air old school, un "The Birdcatcher's Return" où l'on retrouve la verve de Them, l'autre projet de Dose One, et un "The Birdcatcher's Oath" final curieusement apaisé, presque normal.

Est-ce la force de l'habitude ? Est-ce mon oreille qui a été éduquée à toutes ces inepties ? Est-ce un effet madeleine de Proust, qui me ramène à l'exaltation d'une époque où l'on avait gaillardement décidé qu'il était à nouveau possible de tout faire avec le hip-hop, y compris et surtout, de le maltraiter, de le brutaliser, de le violer. Toujours est-il qu'entre le néo prog rock ennuyeux dans lequel a sombré Dose One depuis et ce vieux disque presque oublié, il n'y a pas photo. Circle, en comparaison, ça s'écoute sans peine, c'est cool, c'est frais. Dans son genre.