Broadway Books / Scali :: 2005 / 2006
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Et puis le snobisme rock, c’est un peu comme pour les ceintures noires de karaté, il y a plusieurs dan. Il y a toujours plus snob que le snob, il y a toujours plus pointu que tout ce que les auteurs citent ici. Mojo comme Bible des snobs du rock ? Mouais, un peu trop grand public quand même, non ? Le vrai snob, il lit Wire. Et au niveau encore supérieur, il s’entichera de tel webzine du fond du gouffre. John plus prisé des snobs que Paul ? Bah non, au contraire, pour le vrai élitiste, Macca avait plus de talent que l’autre révolutionnaire d'opérette, quand ce n'est pas carrément George qui est jugé comme le Beatle le plus top credibility.

De toute façon, le principe d’un manuel pour les snobs porte en lui-même une contradiction. Dès que les règles du snobisme sont écrites, compilées et diffusées, elles ne sont plus les règles du snobisme, mais un nouvel objet de mépris.

Bref, il y a beaucoup à redire à ce livre, et il est fait précisément pour cela. Pour que les vrais snobs s’en délectent, pour qu’ils se moquent d’eux-mêmes, ou bien des autres, si d’aventure ils n’ont pas compris que c’est à eux que s’en prennent gentiment David Kamp et Steven Daly. L’objectif essentiel du Rock Snob’s Dictionary, c’est de faire rire, surtout à cette époque où, après avoir été cantonné à quelques collectionneurs fous, le snobisme rock est devenu un phénomène répandu, rééditions à tout va, magazines spécialisés et Internet aidant.

Les auteurs moquent donc ces pédants qui appelleront Bob Dylan "Zimmy". Ils traquent le faux snob qui confondra Townes Van Zandt avec Steven Van Zandt ou Ronnie Van Zant. Ils tournent en dérision leurs idoles, via quelques définitions pleines d’ironies et de tendres vacheries, agrémentées de citations snobs typiques. Ils entrecoupent leurs articles de listes amusantes, comme celle où sont classés tous ceux qui ont pu prétendre légitimement au titre de cinquième Beatle.

Mais en même temps que de rire du snobisme, les auteurs, eux-mêmes snobs assumés, sont loin d'y renoncer. Et donc, avec assurance, ils s’emploient à redéfinir les limites du bon goût, à séparer le bon grain de l’ivraie, à distribuer bons ou mauvais points, à distinguer les artistes dont la cote est fondée de ceux qui ne sont appréciés que par pure distinction bourdieusienne.

Il y a même une liste pour cela, destinée tout entière à séparer les vrais des faux artistes maudits. Et c’est là, bien sûr, que commence la polémique.

Que l’on écrive, par exemple, la chose suivante à propos de My Bloody Valentine…

… heralded in the mid-eighties as a groundbreaking amalgam of noise, melody, and psychedelia – despite offering a rather ordinary if occasionally pleasing indie drone-pop sound. (p. 76)

... et c’est rien de moins que savoureux, voire tellement juste. Mais que l’on classe Scott Walker parmi les usurpateurs favoris des snobs, ah ça non, on s'insurge !

Ce livre, donc, n’aidera pas les apprentis snobs. Connaître ces références par cœur, reprendre tels quels ses jugements de valeur, s’avérera risqué et périlleux. Le snobisme ne fonctionne qu’au terme d’un long apprentissage, qu’il faut sans cesse entretenir. Cependant, parce qu’il est conçu pour que jouissent et pouffent de contentement ceux qui ont déjà un parcours éprouvé en la matière, le Rock Snob’s Dictionary, lors de sa prochaine édition, pourra s’auto-citer sans peine dans l’une de ses listes, celle des "Livres que Tout Snob Doit Prétendre Avoir Lu".