En 1994, avec Resurrection, Common voguait contre le vent. La vogue jazz rap touchait à sa fin et, à l'Est comme à l'Ouest, la tendance dominante était à un hip-hop invulnérable, clinquant et menaçant. Notre homme, cependant, ne vivait sur aucune des deux côtes, mais à Chicago, une ville alors quasi inexistante sur la carte du hip-hop. Il pouvait donc se lancer dans un rap à rebours de l'époque, un rap plus apaisé et plus réfléchi, déclamé d'un flow agile dans une ambiance jazzy, un rap différent même de ce qu'il avait livré sur Can I Borrow a Dollar?, un premier album plus léger qui contenait encore quelques relents de misogynie.

COMMON SENSE - Resurrection

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Celui qui se faisait encore appeler Common Sense décidait de s'en prendre au rap de son temps sur "I Used to Love H.E.R.", le titre phare de Resurrection. Sur un sample de George Benson, il nous décrivait sa relation déçue avec une femme pervertie par le show-biz désormais installée sur la West Coast, une femme qui, en fait, n'était autre qu'une métaphore du hip-hop. Le plus éminent des rappeurs gangsta, Ice Cube, se sentirait la cible de cette dénonciation d'un rap parti à la dérive. Il y répondrait en insultant Common sur le "Westside Slaughterhouse" de Westside Connection, lequel répliquerait à son tour sur "The Bitch in Yoo".

L'état du hip-hop n’était cependant pas le seul centre d’intérêt de Common. Plus largement, il se présentait comme le chroniqueur des troubles de la société, sur "Book of Life" et sur "Nuthin' to Do", l'un des autres temps forts de l'album ; il se lançait dans une réflexion sur l'argent et la discrimination raciale sur "Chapter 13" ; et ailleurs, pour joindre le geste à la parole, il s'efforçait de réinvestir un hip-hop à l'ancienne, joueur, léger et gorgé d'égo-trip. Enfin, en bonus, notre rappeur nous offrait même quelques instants de spoken word déclamés par son papa.

Des titres comme les mélodiques "Nuthin' to Do", "Chapter 13", "Orange Pineapple Juice", sans oublier "I Used to Love H.E.R." bien sûr, n'effaçaient pas toujours les autres, plus ennuyeux. Et la production délicate de No I.D., vintage avant même d'être vieille, pouvait se montrer lassante à la longue, même quand des scratches l'agrémentaient. Plus tard, d'ailleurs, le rappeur proposera des albums bien plus riches et luxuriants que celui-ci. Cependant, ce Resurrection qui annonçait avec quelques années d'avance la vogue du rap "conscient" des Roots, Mos Def et Talib Kweli, une vogue à laquelle lui-même prendrait une part active, demeure un album pivot du milieu des années 90, et il est révéré à raison par les puristes.