Cela avait été l'événement musical le plus cocasse et le plus savoureux de l'année 2008. Alors que les sympathiques frangins d'Oasis lui contestaient le droit d'ouvrir le festival de Glastonbury, réservé selon eux aux groupes de rock, un Jay-Z goguenard était apparu sur scène une guitare à la main, puis il s'était mis à entonner "Wonderwall" avec la foule. Même si, bon prince, la star du hip-hop invitait dans la foulée le groupe anglais à collaborer avec lui, il pointait du doigt leur bêtise. Proclamer, explicitement ou implicitement, qu'une musique jouée avec de "vrais" instruments serait supérieure, par exemple, au rap, ne peut venir à l'idée, aujourd'hui, que d'individus au QI proche de celui des frères Gallagher.

THE ROOTS - Do You Want More?!!!??!

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Mais il n'en a pas toujours été ainsi. Il fut un temps où l'argument pouvait porter, où la légitimité musicale passait par une maîtrise des instruments traditionnels. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le groupe qui est allé le plus loin dans cette démarche live hip-hop, au milieu des années 90, est aussi l'un des plus respectables. Issus d'une Black America middle-class bien sous tout rapport, ayant à sa tête un MC à l'allure bien sage (Black Thought) et un batteur à la coupe afro anachronique (?uestlove), portés sur le rap conscient, avec en sus un goût pour le jeu et l'humour, et allant jusqu'à clore leurs disques par les déclamations d'une poétesse, Ursula Rucker, le groupe était aux antipodes exactes du gangsta rap.

Et pour compléter le tableau, The Roots préféraient, aux samples cramés et aux instrus populistes, accompagner leurs textes par ces fameux "vrais" instruments. Le rap de la Côté Est se distinguait déjà de son rival californien en pompant massivement la source jazz. Mais les Roots, eux, allaient plus loin encore. Ils retournaient au jazz, au vrai, avec la basse de Hub et la batterie de ?uestlove, un jazz tout juste enrichi par les raps de Black Thought et de Malik B., et par le beatboxing de l'inénarrable Rahzel. Et jamais ils n'ont poussé la logique aussi loin que sur Do You Want More?!!!??!, leur deuxième album, celui qui les a révélés.

Pas de sample, donc, sur Do You Want More?!!!??!, mais de vrais musiciens, des artistes, comme claironné fièrement en introduction du disque. Pas de boucle, mais l'orgue de Scott Storch, et de vrais jazzeux comme Joshua Roseman au trombone, Cassandra Wilson au chant et, sans surprise, Steve Coleman au saxophone. Et l'argument a porté. S'ils n'ont pas connu le succès tout de suite, les Roots ont commencé à construire une solide crédibilité avec cet album. Grâce à lui, ils se sont fait remarquer au-delà du hip-hop, comme le marque leur signature chez Geffen, et leurs prestations au festival de Montreux, comme au Lollapalooza.

C'est qu'il était plein de bonnes choses, cet album. Il respirait le potentiel et le talent, grâce à des titres de la qualité du soyeux "Proceed", du chaleureux "Mellow My Man", et de ce "Do You Want More?!!!??!" aux chœurs guerriers. Grâce encore à ce "What Goes On Pt. 7" dont l'instru, quant à elle, flirtait avec le g-funk, au chant suave de "Silent Treatment", et à ce "Datskat" aux cuivres et percussions entrainants, le titre qui, ici, se rapproche le plus d'un tube, en tout cas celui grâce auquel votre serviteur lui-même, il y a bien longtemps, avait découvert les Roots.

Pourtant, quelque chose posait problème sur Do You Want More?!!!??!. Un mauvais enchainement des morceaux, des tems d'ennuis (un "Lazy Afternoon" aussi mortel, oui, qu'un dimanche après-midi), l'impression d'écouter une suite de jams longuets et décousus, desservis par un Black Thought plus honnête qu'éclatant au micro. Plutôt qu'un vrai album, les Roots nous offraient un témoignage de leur qualité scénique, comme avec le titre "Essaywhuman?!!!??!" .

L'idée de ne jouer que de "vrais" instruments semblait séduisante, mais elle n'apportait finalement pas grand-chose au rap. Il est d'ailleurs assez révélateur, voire ironique, que les Roots n'aient connu le succès que deux albums plus tard, avec Things Fall Apart, et après avoir renoncé à ce parti-pris 100% organique.