Il y a quelques temps, nos amis de l'excellent site Press Rewind avaient ressorti malicieusement la critique écrite en son temps par Joe Charles de The Source sur le premier album des futurs Cocoa Brovaz. Considéré depuis comme un classique du rap new-yorkais, inclus plus tard dans la fameuse liste des 100 meilleurs albums hip-hop du même magazine, Dah Shinin' y faisait l'objet d'un jugement en demi-teinte. Alors bien sûr, aujourd'hui, il est savoureux d'ironiser sur le manque de clairvoyance du critique. Et pourtant, pourtant, avait-il vraiment tort ?

SMIF-N-WESSUN - Dah Shinin'

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Que reprochait au juste Joe Charles au premier album du duo qui s'appelait alors, encore, Smif-n-Wessun ? Deux choses, essentiellement. D'abord, il accusait les protégés de Black Moon de ne rien inventer de plus que ces derniers, de ne pas faire preuve d'originalité. Et sur ce point, on ne peut pas tout à fait lui donner tort. La formule était semblable. C'étaient les mêmes thèmes, le même rap de rue ancré à Brooklyn et dans d'éternelles histoires très noires de ghetto, de dope, de flingues, de crime et de truands, avec en sus une bonne dose d'ego-trip.

Les Beatminerz déclinaient la même formule à base de percussions martiales, de basses puissantes et de samples jazzy discrets, aux limites de l'infrabasse, avec en plus un petit côté jamaïcain dans certains beats et flows ("Sound Bwoy Bureill", "Wipe Ya Mouf"). Et sur la pochette, détail plus anecdotique, le groupe se permettait encore de réinventer à sa façon l'orthographe anglaise. Bref, si Dah Shinin' dégageait quelque saveur, ce n'était plus tout à fait celle de la nouveauté.

L'autre reproche, c'était que Smif-n-Wessun ne se montraient pas aussi puissants que leurs aînés. Et là encore, Joe Charles était dans le vrai. A part sur " K.I.M." et "Let's Git It On", les morceaux de Tek et de Steele n'étaient pas aussi offensifs que ceux de Black Moon, pas aussi straight in your face, pas aussi punchy. Ils étaient plus laid-back, plus mélodiques même (écoutez les pourtant très bons "Wrektime" et "Wrekonize"), limite mollassons. Ils manquaient de diversité, ils étaient monotones, si l'on excepte la weed-song "Hellucination". Et du coup, l'album se montrait moins haletant. Comme le critique le soulignait, une nouvelle fois à juste titre, la promesse faite avec le single "Bucktown", cet ultime sommet de hip-hop - avec son saxo et son leitmotiv ("home of the original gun clappas"), tous deux absolument mémorables - n'était pas honorée sur la longueur de l'album.

Mais peut-être Joe Charles était-il tombé aussi dans le piège classique du critique, sommé de donner un avis rapide, avant même d'avoir laissé l'album mûrir et se faire un chemin entre ses oreilles. Après le choc provoqué par le Black Moon, puis par l'excellent premier single de Smif-n-Wessun, impressionner, ne pas décevoir, devenaient plus difficile. Parce qu'ils semblaient se perdre sur un tempo ralenti, dans les vapeurs de la weed, il fallait plus de temps pour que les titres de Dah Shinin' fassent un effet semblable aux hymnes guerriers d'Enta da Stage.

Parce qu'il était trop long et qu'il avait des fillers, des passages pauvres et ennuyeux ("Home Sweet Home"), l'album de Smif-n-Wessun ne semblait que l'ombre de celui de Black Moon, une simple réplique de ce tremblement de terre. Mais être la réplique d'une bombe de l'acabit d'Enta da Stage, c'était déjà considérable. Tel est ce que Joe Charles n'a pas tout de suite réalisé, telle a été la seule erreur d'un critique qui, à part ce détail capital, a vu tout de même très clair.