Def Jam :: 1994 :: acheter ce disque

Pourtant, si Tical est l'album solo du Wu qui a le mieux marché, et qu'il est devenu disque de platine, il n'était pas démagogique. OK, il y avait les roucoulades de Mary J. Blige et les paroles très love de cet "I'll Be There for You/You're All I Need to Get By". Cependant, vous en connaissez beaucoup du R&B qui sonne aussi malsain que ce remix signé par le RZA ? Et que dire de la version originale, sombre et minimaliste à souhait, et dépourvue de la moindre chanteuse ?

Cette version, plus hardcore, est au diapason du reste de l'album : sèche, minimale et perturbante, dans la continuité absolue du très rêche Enter the Wu-Tang. L'album commence d'ailleurs où celui d'avant s'était arrêté, avec un fond cinématographique et des extraits de films de kung-fu. Produit intégralement par RZA, il en consacre la formule, avec ses voix soul malmenées ("Biscuits"), ses pianos implacables ("What the Blood Clot"), ses rythmes lourds et martiaux ("P.L.O. Style"), ses basses étouffantes. Comme tous les premiers albums solo du Clan, il démontrait aussi une unité de ton rare, il était tenu par un concept unificateur. Bref, il avait ce côté "vrai album" qui n'aura intéressé à ce point le hip-hop, avant tout un genre à singles, qu'au cours de la décennie 90.

Aussi noir et obtus que la pochette, il était presque étonnant que Tical ait à ce point connu le succès. Qu'est-ce qui avait traversé l'Amérique des années 90 pour qu'elle s'entiche d'un tel disque, aussi bancal et ténébreux, dédié en grande partie, et jusque dans le titre, à célébrer des substances illicites ? Est-ce que c'est parce qu'il était d'une qualité exceptionnelle qu'il a connu ce succès ?

Non, même pas. Car s'il est un must-have, Tical est le plus faible des cinq premiers solos du Wu-Tang Clan. Il contenait son quota de bons titres, à commencer par l'introductif et oppressant "Tical", par ce "Bring the Pain" qui tirait sur le dancehall, par ce sommet d'agression et d'étrangeté à la Wu qu'était "Mr. Sandman", et par "All I Need". Mais il avait aussi de nombreux creux, dont un single douteux, ce "Release Yo' Self" où la chanteuse Blue Raspberry tournait "I Will Survive" à sa sauce. Ce disque n'avait pas l'éclat et l'excellence des solos d'après, il était terne. Contrairement à eux, il ne renouvelait pas l'arsenal du Clan, il ne le réinventait pas. Il ne faisait qu'en décliner la première mouture.

Et c'est peut-être cela, cette parenté prononcée avec Enter the Wu-Tang, qui explique pourquoi ce Wu-là a marché plus que les autres. Avec un personnage cartoonesque à souhait et, accessoirement excellent rappeur, Tical est venu cueillir les fruits plantés un peu plus d'un an auparavant par le premier album du Clan, dont il n'est, dans l'ensemble, qu'une sympathique mais pâle réplique.