Editions Seteun :: 2010 :: acheter ce livre

L'auteur et ses collaborateurs se concentrent sur le cas de la rappeuse française, et plus particulièrement sur celui de son album Dans ma Bulle, énorme succès populaire de l'année 2006. Ils en dissèquent l'origine et le contenu. Ils cherchent à savoir d'où elle vient, quelles sont les caractéristiques de son art, quelles en sont le sens et les valeurs, qu'est-ce que cela dit de la société française contemporaine.

Diam's. Le sujet n'a a priori pas grand-chose de palpitant pour le fan de hip-hop hardcore, partagé entre indifférence et mépris pour cette version variétisée de son genre de prédilection, pour cette sorte de Sheila du rap qu'est devenue Mélanie Georgiades. A moins que sa passion pour la musique se double d'un intérêt pour la politique ou la sociologie, ce livre ne lui est pas adressé. Il est destiné à d'autres, aux non initiés. Peut-être pas à Mme Michu, le ton et le contenu sont bien trop universitaires pour cela, mais à une élite intellectuelle qui méconnaitrait ou sous-estimerait le rap en général, et Diam's ou le rap français en particulier.

Et l'auteur s'en sort plutôt bien. Quand le Rap Sort de sa Bulle évite les travers dans lesquels tombe trop souvent la littérature savante consacrée aux musiques populaires, et plus particulièrement celle qui se penche sur ce genre encore jeune qu'est le rap. Considérant que le succès de Dans ma Bulle prouve qu'il s'agit d'une œuvre, sinon importante, du moins signifiante, Denis-Constant Martin affiche du respect pour son objet d'étude. Il démontre en quoi celui-ci est pensé, peaufiné, combien il est le produit d'un travail et d'un investissement considérables.

Même si, comme nous, lecteurs, il est probable que les auteurs ont ri en disséquant tous ces messages qu'ils citent, rédigés par des fans, dans un style SMS, sur le site de Skyrock, ils approchent le cas Diam's avec le même sérieux qu'un artiste reconnu, Ils le font parfois au risque de tomber dans l'excès, prêtant à la rappeuse une subtilité qui n'est sans doute pas la sienne : non, le mot "cote" n'a pas été écrit "côte" dans le livret du disque par référence à la côte d'Adam, c'est plus vraisemblablement une vraie faute d'orthographe (p. 104).

En se documentant et en s'entourant d'experts, de gens qui maîtrisent mieux le sujet que lui, l'auteur s'est montré humble, plutôt que condescendant. Il a aussi veillé à ne pas dire d'âneries ou d'approximations sur le hip-hop, son origine, son évolution. Sa généalogie du rap français est juste, et il a raison quand il souligne les différences entre le hip-hop d'ici, et son homologue et père américain, quand il précise que cette musique, chez nous, s'est acclimatée, est devenue autre chose.

Il est tout aussi pertinent quand il précise que le rap est moral, qu'il définit de nouvelles valeurs, plutôt que de contester celles de l'ordre en place. Même s'il n'est pas sûr qu'un néophyte comprenne ce qu'est un beatboxer avec la définition assez absconse donnée dans le livre ("… personnes qui jouent des formules rythmiques ou polyrythmiques en émettant staccato des sons non verbaux variés (…) en hauteur, en timbre et en intensité", p. 48), les auteurs cherchent à déployer de vrais efforts d'explication et de pédagogie sur ce qu'est le rap.

Le grand mérite de l'auteur et de ses collaborateurs, c'est aussi de ne pas écarter d'un revers de main méprisant la dimension strictement musicale du rap. Explicitement, il précise qu'il ne souhaite pas se limiter aux paroles, comme le font trop de sociologues de la musique, pour tirer des enseignements de ce disque ("… le rap est musique et il est destiné à être entendu et non lu (…). Il est (…) bien plus intrinsèquement musical que la chanson", p. 46). Il rappelle quelles ont été les innovations stylistiques du hip-hop, et comment Diam's a su se les approprier pour livrer un mélange original de rap et de variété française. Il met en exergue l'imbrication de la musique et des paroles dans le hip-hop, et comment l'articulation des deux contribue tout autant au sens qu'à l'esthétique.

Malheureusement, l'auteur ne réalise ce projet qu'à moitié. Malgré ses efforts de synthèse en conclusion, sa démarche reste trop analytique et compartimentée. Il annonce que paroles et musiques sont inextricables dans le rap, mais les deux sont disséqués séparément, chacunes dans son chapitre. Plusieurs disciplines, historiques, sociologiques, linguistiques, musicologiques, sont déployées. Mais elles ne se parlent pas complètement, la transdisciplinarité n'est pas totale.

Et parfois, de ce fait, le livre ressemble plus à une somme de considérations sur l'histoire, l'esthétique et les thèmes du rap français, et sur beaucoup d'autres choses, qu'à une véritable thèse. Ca manque d'idée forte. Car au final, que nous apprend Quand le Rap Sort de sa Bulle ? Que l'album de Diam's est un reflet de la société française contemporaine, de ce glissement de valeurs, au-delà des clivages traditionnels gauche/droite, déjà observés par des sociologues ? Mais cela, tout le monde, même ses détracteurs les plus virulents, s'en doutaient déjà.

Cependant, le vrai projet des auteurs n'était peut-être pas celui-là. Le vrai projet, c'était, dans une démarche qui fleure bon le relativisme culturel, de démontrer que toute œuvre mérite un examen approfondi, même les plus vulnérables à la critique et à l'arrogance des lettrées. C'était, pour reprendre les paroles du proche mentionné plus haut, de prouver que, oui, en effet, il est tout à fait possible de dire des tas de choses longues et intelligentes sur un disque de Diam's.