Ces derniers temps, Ceschi Ramos n'est pas resté inactif. Il a contribué aux disques d'autres gens, sorti l'album tant attendu du quartet Toca, lancé une parodie crunk avec le projet Knuck Feast, et créé un label, Fake Four Inc., pour abriter tout ce qu'il reste de remarquable au sein d’une scène rap indé sur le déclin. Cependant, en solo, il n'a plus rien livré depuis cette perle méconnue qu'est They Hate Francisco False, et cela commençait à faire long. Mais en 2010 est enfin sorti le troisième album du chanteur, rappeur et multi-instrumentiste d'origine portoricaine, The One Man Band Broke up, résultat d'un travail de trois ans. Et sur ce disque, excellent, notre homme est plus convaincant que jamais.

CESCHI - The One Man Band Broke Up

C'est une nouvelle facette de son talent que Ceschi nous révèle. Cet album-là est moins unilatéralement pop que ce disque de Beatles pour l'ère hip-hop qu'avait été They Hate Francisco False. Les raps sont plus présents, le ton moins personnel. Il s'agit aussi d'un travail plus collectif, puisqu’il résulte d'une collaboration avec le beatmaker allemand DJ Scientist, et que beaucoup d’autres gens y ont contribué, des collègues de Toca comme Tommy V et le frangin David Ramos, des figures du rap indé comme Sole et Astronautalis, les producteurs Radical Face et 2econd Class Citizen. La formule en est plus variée, même si Julio "Ceschi" Ramos ne revient pas à l'éclectisme de son premier opus, Fake Flowers.

Cependant, comme son prédécesseur, The One Man Band Broke up est un album-concept. Il nous conte le destin d’un nouvel alter ego du rappeur, un dénommé Julius, confronté au monde cruel de la musique, à ses désillusions, à ses groupies harpies, à ses drogues, à ses profiteurs, à ses tournées vides de sens, dont les mésaventures, la nostalgie et les déceptions d’artiste maudit, à forte teneur autobiographique, pourraient tout aussi bien être celles de la scène rap indé dont Ceschi est aujourd’hui l’ultime figure de proue.

Ainsi dit-il, sur "The One Man Band Broke Out" :

The moral of the story is: no one really gives a shit. But don’t cry for the swatted flies, they loved what they did

La morale de l'histoire est que personne n'en a rien à foutre. Mais ne pleurez pas pour ces mouches aplaties : elles ont aimé ce qu'elles ont fait

Plus loin, modérant ce constat et le ton globalement désespérant du disque, Ceschi tente aussi l'humour noir, sur "For my Disappointing Hip Hop Heroes" (ou tout du moins on l'espère, ce serait gênant si c'était du premier degré) :

Most of us tried to jump off rooftops and threatened to slit our wrists at 14. Only some succeeded and missed out on the late nineties’ underground rap scene

La plupart d'entre nous avons essayé de nous jeter du toit ou de nous ouvrir les veines à 14 ans. Seuls quelques-uns ont résussi et ont manqué la scène rap underground de la fin des années 90

La musique, elle, est le fruit de la passion commune de Ceschi et de DJ Scientist pour le rap et pour la pop psyché d’il y a 40 ans, d'où ces titres à mi-chemin des deux genres, où chants et raps se succèdent sans accroc, où les beats s’ouvrent aux cuivres, aux cordes, au piano, au banjo, à l’accordéon, et ou presque tous les morceaux, qu'ils soient d'humeur enflammée ou en berne, sont formidables.

L'album le plus attendu de l'année dans cette veine (nommez-la indie rap, post rap, folk rap, qu'importe) s'avère donc le meilleur. Et cela, pour les fans de la première heure que nous sommes, est une intense satisfaction. Julius, le héros suicidaire de l'album, a beau se désoler de la dureté du monde de la musique, nous autres, nous lui crions "hourra".

Acheter cet album