MCA :: 2002 :: acheter ce disque

Après avoir apporté leur pierre à ces années très riches et très créatives, rapologiquement parlant, qu’ont été celles de la décennie 90, les gens de Solesides ont, dans la période suivante, été symptomatiques de cette dérive, de cette inutile quête de respectabilité d’un rap devenu adulte et qui voulait entendre parler de choses plus présentables que des guns et des bitches. Et cela s’est passé très vite, puisque ce Blazing Arrow décevant n’a suivi l’excellent Nia que de trois ans.

Cependant, ce deuxième album de Chief Xcel et Gift of Gab est sorti il y a déjà longtemps, et l’on sait à quel point le temps est un bon juge. Alors, la déception était elle fondée ? N’était-ce pas là l’éternel réflexe des puristes, de gens jaloux, nous, mécontents de voir un de leurs groupes fétiches signé sur une major et recueillir des critiques bienveillantes de la presse grand public ? Certains n’avaient-ils pas eu la même réaction épidermique quand, après avoir écouté Nia, ils avaient déclaré que tout cela ne valait pas la première œuvre du duo, le culte Melodica EP ? Bref, Blazing Arrow ne mérite-t-il pas d’être redécouvert et revalorisé ?

Hé bien la réponse est… non, pas tout à fait. Il y a bien quelques titres à sauver, ultimes témoignages du Blacka le plus frais et le plus inspiré, comme le morceau titre, "Blazing Arrow", servi par une basse sautillante et un sample de Harry Nilsson magnifiquement employé, un "Sky Is Falling" saccadé et animé de chœurs féminins malins, et l’intervention citée plus haut de Gil Scott-Heron sur "First in Flight" se montre convaincante. On retrouve aussi le Blackalicious qu’on aime sur le titre issu du premier maxi, un très doux "Make You Feel That Way". Et les trois parties de "Release" sont également bien négociées, avec le spoken word abouti de Saul Williams, et un Zach de La Rocha venu faire ce qu’il sait le mieux, brailler.

Mais à part ces passages concentrés au début puis à la fin du disque, Blazing Arrow est tout de même très moyen. Avec cette formule mollement funky, avec ces chants mous du genou, avec ces chœurs féminins soulful, mais finalement assez proches des roucoulades R&B, ça s’inscrivait pile poil dans une vague nu-soul et "rap conscient" nauséabonde, comme l'indiquait la présence de tous ces gens, des Hi-Tek, des Dilated People, des Jurassic 5, représentatifs de la portion la plus triste et la plus faussement audacieuse du rap indé, de son intelligentsia.

Ce n’est pas que les deux hommes aient perdu de leur savoir-faire. The Gift of Gab demeurait un satané MC, il suffit d’écouter "Paragraph President" et "Chemical Calisthenics" pour s’en convaincre. Quant à la production soignée de Chief Xcel et de ses collaborateurs, elle atteint des sommets de diversité. C’est très pro. Et ça n’est même pas si loin que ça de Nia, où l’on trouvait déjà ce hip-hop métissé et ouvert, cet esprit positif et progressiste. Mais il manque la fraîcheur, la spontanéité et les aspérités. Blazing Arrow, c’est trop souvent du hip-hop chiant comme il existe malheureusement du jazz chiant, de la soul chiante. C’est adulte, c’est middle-of-the-road, et l’on sait à quel point tout cela ne sied pas bien au rap.