Et si le rap n'était finalement qu'une musique comme les autres, suivant, à terme, le même parcours de normalisation que le jazz et le rock en d'autres temps ? Ainsi peut-on brutalement résumer la thèse défendue par la sociologue Stéphanie Molinero dans un livre récent, Les Publics du Rap, qui s'attache à démontrer que les adeptes du genre sont socialement beaucoup plus divers que les clichés les plus répandus veulent le laisser entendre. Explications détaillées avec l'auteur.

STEPHANIE MOLINERO

Pourquoi un mémoire, puis un livre sur le rap ? Est-ce par intérêt personnel ?

Il y a forcément un intérêt personnel derrière tout ça. On ne tient pas le coup sur un sujet pendant des années sans intérêt personnel. Mais aussi, au fil du temps, s'y est ajouté un intérêt sociologique. L'idée de travailler sur le rap a émergé quand je n'étais pas encore en socio. Je faisais des études d'économie, j'étais dans une université à Paris où la population était bien différente de celle que je pouvais côtoyer dans mon milieu d'origine, en banlieue rouennaise. Ça m'a permis de voir dès cette époque qu'il y avait des gens très différents qui écoutaient du rap, et qu'ils ne le faisaient pas nécessairement pour les mêmes raisons. Cet intérêt personnel, doublé de ce constat, de ces impressions, s'est transformé en objet d'études sociologiques.

Puis en livre in fine. Qu'est-ce qu'il défend ce livre ? Quelle est sa conclusion principale ?

L'idée, c'est qu'on ne peut pas résumer le rap et ceux qui en écoutent à des représentants des cités, plutôt jeunes, plutôt masculins, à un climat violent, etc. Le but, c'était de casser ce préjugé qui persiste face au rap. J'avais le sentiment que je trouverais assez facilement des personnes qui ne correspondent pas à ce stéréotype pour pouvoir en dire quelque chose à un niveau sociologique. C'est l'idée principale qui est exposée, puis démontrée, tout au long de l'ouvrage.

En termes de méthodologie, ça s'est basé sur des entretiens qualitatifs, des études ? Quelle a été la base ?

Toute une batterie de lectures, sociologiques évidemment, mais aussi de presse, d'observations lors des concerts. J'ai aussi collaboré à un moment un site Internet qui s'intéressait au rap et au hip-hop. Ces expériences et ces lectures m'ont permis de dégager quelques informations, mais le gros du travail, ça a été une enquête par questionnaires et par entretiens, du quantitatif et du qualitatif. Je me suis concentrée sur les vingt noms d'artistes ou de groupes que les personnes m'ont le plus cités, et je suis allée explorer un peu davantage leurs productions.

Auprès des groupes eux-mêmes ?

Non, j'ai juste interrogé l'œuvre, les albums, et j'ai mené une petite analyse. A mon niveau, car je ne suis spécialiste ni de littérature, ni de musicologie. Mais j'ai essayé de dégager quelques traits saillants qui me permettaient de comprendre pourquoi les personnes qui aiment le rap ne se dirigent pas nécessairement vers les mêmes artistes. En gros, j'ai travaillé de façon relativement classique en sociologie.

Et comment ça s'identifie, un public du rap ? Comment ça s'est passé ? En les guettant dans des FNAC ?

J'y avais pensé, mais ça aurait été un pu compliqué. Il m'aurait fallu l'autorisation de la FNAC pour faire l'enquête, ou suivre après les personnes pour les accoster à la sortie du magasin. Je suis allée les chercher avant les concerts, en magasins spécialisés rap, où c'était plus facile pour moi de demander en expliquant le sujet. Je faisais remplir les questionnaires dans la rue, et par Internet. J'ai rencontré un co-fondateur de site Internet qui m'a proposé de mettre le questionnaire en ligne, ce que j'ai bien évidemment accepté.

Le titre est au pluriel, il parle de plusieurs publics pour le rap. Quels sont ces publics ? Y a-t-il un rap des cités, un rap des classes moyennes, un rap de l'élite ?

Pas exactement, même si selon les catégories, on peut retrouver des ancrages sociaux un peu différents. Il y a le rap des consommateurs, si on peut le dire comme ça, qui a un public plutôt jeune, plus populaire en comparaison avec les autres catégories, qui écoute beaucoup de rap, mais via les médias de masse, Skyrock pour la radio, ou MTV, les clips à la télévision, et qui d'ailleurs au moment de l'enquête, citait les artistes qui étaient en promotion au même moment. On sent bien que les goûts sont liés à l'exposition médiatique.

Sur les deux catégories suivantes, le grand public et les amateurs, c'est beaucoup plus hétérogène du point de vue social. Le grand public a un rapport beaucoup plus distant au rap. Par exemple, il peut écouter Diam's ou aller à un concert de NTM, pour avoir bien aimé le dernier album. Il s'intéresse aux têtes d'affiche qui sont relayées par les médias de masse, mais qui ont déjà une assise et qui ont fait leurs preuves.

Les amateurs, comme les consommateurs, ont un rapport très fort au rap, mais ils ont des choix plus arrêtés. Ils sont plus pointus, plus connaisseurs, plus critiques. La plupart d'entre eux ont des expériences d'écoute de disques et de concerts assez fortes, et du coup ils ont un jugement mieux construit que quelqu'un qui écoute du rap depuis six mois. C'est ici qu'on va retrouver les récepteurs les plus âgés.

Et enfin, le public branché a une extraction sociale plus particulière, il est plus aisé. Il a un rapport plus lointain au rap, mais il peut apprécier des artistes de ce qu'on a dit être le rap avant-gardiste, ou le rap alternatif, ou le rap bourgeois, le hype rap, qui a émergé pas longtemps avant l'enquête, vers 2003 ou 2004, avec l'apparition de groupes qui permettent aux goûts de se cristalliser. Je pense notamment à TTC.

Est-ce qu'on remarque aussi une disparité géographique parmi les publics du rap ? Je sais qu'avec Internet c'est moins évident.

Je ne me suis pas intéressée aux goûts pour des artistes locaux. L'enquête est tout de même assez parisienne, même si j'ai rencontré aussi des personnes en province.

Il y a quand même un côté "je représente mon quartier", Paris, Marseille, tout ça, qui est très important dans le rap.

Le deuxième groupe le plus cité a été IAM, donc je ne suis pas certaine qu'il y ait cet attachement. Il existe sans doute plus pour des artistes moins connus : "je supporte untel parce que je le connais, de façon directe ou indirecte". Mais pour les plus connus... Si, si on vient du 94, on va dire : "Rohff c'est super, il vient du 94", évidemment. Mais après, est-ce qu'on va dire : "j'écoute pas celui-là parce qu'il ne vient pas de ma région ou de ma ville" ? Je ne crois pas. En tout cas, ce n'est pas du tout une idée qui est ressortie des entretiens.

Est-ce qu'on observe une forte évolution des publics du rap sur les dernières années, ou observons-nous une certaine constance ?

Difficile pour moi de répondre avec les données de mon enquête. Cela dit, au Ministère de la Culture, il y a un département des études et de la prospective qui remet des enquêtes statistiques régulièrement, qui interroge un gros panel représentatif de la population.

Sur quel genre de sujet ?

Sur les pratiques culturelles en général, mais on a quelques petites informations sur le rap, donc ça permet d'avoir une idée. Si je compare l'enquête qui a été menée en 97, sortie en 98, à celle qui est sortie cette année, on n'a pas beaucoup d'informations, mais la progression de l'écoute du rap chez les cadres n'est pas aussi forte que la progression chez les professions intermédiaires. Elle augmente aussi chez les ouvriers, mais en proportion, beaucoup moins que parmi les classes moyennes. En conclusion, s'il fallait retenir une progression, ce serait celle des classes moyennes vers le rap, ce qui annonce, ce dont je parle dans le livre, l'entrée du rap dans un processus de légitimation. C'est un concept sociologique, mais c'est aussi ce qu'on observe pour le rock aujourd'hui, c'est ce qu'on a observé pour le jazz il y a quelques années.

Le rap, compte-tenu de son histoire et de sa progression, entrera lui aussi dans une phase de normalisation, si on peut le dire comme ça. De légitimation, voire d'institutionnalisation. Elle est déjà un peu en marche, comme on peut l'apercevoir dans ces petites statistiques, sachant que même si le pourcentage de cadres sup' qui écoutent du rap est inférieur à celui des autres catégories, il n'est pas ridicule non plus. Ce sont aussi ces statistiques qui m'ont amené à aller voir un peu plus en profondeur.

Et j'imagine que ces différents publics ont différentes raisons d'aimer le rap. Certains, c'est pour l'attitude, d'autres ont une approche de mélomane, avec un intérêt purement musical. Est-ce qu'on observe ces différences de considération d'un public à l'autre ?

Ceux que j'ai rencontré en entretien sont des gens qui ont accepté de se dire : "je vais parler de rap à quelqu'un pendant une heure, une heure et demi, voire plus". Donc, il faut quand même se sentir un minimum connaisseur. Du coup, les personnes avec qui j'ai passé le plus de temps sont celles qui ont un goût défini, qui ont un rapport esthétique au rap. Même si, quand ils nous retracent leur parcours, ils nous disent : "quand j'étais plus jeune j'écoutais du rap parce que tout le monde écoutait du rap, parce que c'était une musique de jeune, parce que ça avait la patate, parce que j'étais complètement révolté moi aussi". Mais au fur et à mesure, ils se sont dits, "tiens mais untel, il a un flow quand même meilleur que l'autre", ou, "je préfère cette instru là". Le goût se peaufine, et il est assez rare de trouver quelqu'un qui va dire : "j'écoute du rap parce que c'est une musique de jeune et que je suis jeune, parce que c'est contestataire et que je ne suis pas content".

Même chez les gens qui écoutent le rap pour des raisons esthétiques, on note des divergences. Il y a ceux qui valorisent le côté compétition, qui est au cœur même du rap : celui qui a le meilleur phrasé, celui qui a les meilleurs lyrics. Quand d'autres écoutent du rap comme du rock, et se concentrent un peu plus sur les beats, sur les mélodies ou les rythmes. Est-ce des différences qu'on note aussi d'un public à l'autre ?

Je ne suis pas sûre de bien comprendre, car tout ça est un peu lié. Le fait d'être le meilleur, c'est aussi celui d'avoir un bon son.

Déchirer au micro et bâtir une œuvre, ce n'est pas tout à fait la même chose. Le rap à la base, c'est de la virtuosité, c'est une compétition, c'est des battles. C'est celui qui rappe mieux que le voisin.

Ce n'est pas une distinction qui ressortait vraiment dans les discours. C'est un peu mélangé. Ils cherchaient à écouter des œuvres, mais des œuvres de personnes qui déchiraient, en fait (rires).

Ce n'est pas incompatible.

Non, ce n'est pas incompatible, c'est même plutôt bienvenu si les deux sont là.

En parcourant le livre, je vois que ce sont surtout des artistes français qui sont cités. Pourtant, le rap, à la base, c'est américain...

J'aurais pu aussi poser des questions sur les artistes américains, mais je pensais que j'aurais assez de choses à traiter en ne parlant que des artistes français, ce qui me semble avoir été le cas.

Cela dit, la question du rap américain a été abordée largement pendant les entretiens, et ça départageait de façon assez nette ceux qui écoutent du rap comme du rock ou de la musique en général, et qui font abstraction du contenu pour s'intéresser uniquement au discours musical et esthétique, au flow, aux instrus. Alors que ceux qui aiment le rap français pour ce qu'il dit et qui ne comprennent pas le rap américain n'en écoutent pas, ou très peu, parce qu'ils sont bloqués par le sens, parce que quelque chose leur échappe. On me disait souvent dans les entretiens, "le rap, c'est les textes surtout".

C'est un avis partagé ?

Il y avait une partie dans le questionnaire où je leur demandais ce qu'ils préféraient dans le rap entre les paroles, les instrus, le flow, le rythme, etc. Il fallait choisir. Davantage de personnes m'ont dit "les paroles", en effet. Mais c'est vrai que quand on parle de rap français, faire abstraction des paroles n'est pas possible. Ça peut bloquer sur certains artistes sur lesquels on m'a dit : "j'aime bien son flow, les instrus ne me dérangent pas trop, mais ce qu'il raconte, c'est pas possible, je peux pas". Donc oui, les paroles sont importantes, mais pour le public amateur tout le reste comptait énormément aussi.

STEPHANIE MOLINERO

Quand on parle des publics du rap en France, y en aurait-il un qui n'écouterait que du rap étranger, que du rap anglophone ?

J'ai rencontré des personnes qui me disaient : "j'écoute quasiment que du rap américain, parce que j'ai été lassé du rap français, que ça ne se renouvelle pas assez, il y a beaucoup plus de diversité dans le rap américain, même s'il faut chercher un peu". Ce qu'ils recherchent, ça concerne bien sûr essentiellement les innovations dans le flow et au niveau des instrus.

Y a-t-il quelque chose de spécifique aux publics du rap ?

A part son contexte d'émergence et les populations qu'il a pu entraîner à ses débuts, désolé, non. Le rap fonctionne déjà un peu comme toutes les musiques d'Après-Guerre, comme le rock, comme le jazz. Le rap a ses particularités comme toutes les musiques, mais finalement, il suit un chemin qui a déjà été emprunté par d'autres musiques avant lui.

On parle de légitimation du rap. On en est où, là, justement ? Est-ce que le rap est légitime aujourd'hui, ou est-ce que les fans de rap ont toujours cette impression, qu'ils regrettent ou qu'ils valorisent, d'être une sorte de citadelle assiégée, d'être seuls contre tous ?

Dans tous les entretiens il a été question de ça. Ils ont bien conscience de la mauvaise réputation du rap, qu'ils déplorent la plupart du temps. Mais en fait, ils ont un double discours, car il y a aussi la distinction de l'amateur, cette envie de connaître des choses que les autres ne connaissent pas, de garder un petit aspect de marginalité. Ils n'ont pas envie que leur voisine de pallier avec qui ils ne partagent rien leur dise : "ah le rap c'est super, j'aime bien".

C'est un double discours qu'on retrouve chez tout le monde ? Ou bien est-ce qu'on trouve des gens qui sont à fond dans une démarche de légitimation, qui veulent montrer que le rap est une musique comme les autres, qu'il a autant d'intérêt que le jazz, le rock ou je ne sais quoi ? Ou à l'inverse des gens qui disent : "on est marginaux, on va le rester, on le valorise et c'est très bien comme ça" ?

Il y a un retour de bâton lié à la forte médiatisation du rap dans les années 90. D'un mouvement minoritaire, on est passé à l'explosion, et à une sorte de perte de valeurs qui fait dire à pas mal de personne : "finalement, le rap, c'était bien entre nous". Entre nous, amateurs de hip-hop. Pas entre nous dans les cités, ou entre nous Noirs et Arabes, c'est pas la question. Il y a la nostalgie d'une sorte de communauté hip-hop qui n'existe plus parce que ses valeurs ont disparu avec sa forte commercialisation. Et ça, ça revenait souvent quand, en fin de questionnaire, je leur demandais ce qui signifiait pour eux "être hip-hop". Des gens répondaient : "être hip-hop c'est écouter du rap et s'habiller d'une certaine manière".

Mais du côté des amateurs, je retrouvais les valeurs du hip-hop, celles qu'on associait à la Zulu Nation d'Afrika Bambaataa. On m'a rarement cité le "Peace, Love, Unity & Having Fun", mais on me l'a dit, et puis on a aussi mis en avant l'aspect d'unité, de solidarité, d'entraide, de tolérance, de combativité, toutes ces valeurs qui sont associées au hip-hop et qu'on ne retrouve plus du tout parmi les consommateurs, là où on retrouve les plus jeunes, car c'est aussi une question d'âge.

On a deux générations qui n'écoutent pas les mêmes artistes et qui ne voient pas le rap de la même façon. Quand on a douze ans à l'heure actuelle, le rap est plutôt installé, on ne se repique pas les cassettes à la récré en se disant "écoute, c'est un truc nouveau, c'est super". Il n'y a plus la forme d'attirance qu'il pouvait y avoir chez ceux qui sont plus âgés.

Les plus âgés se souviennent d'un hip-hop festif, mais, ils aussi regrettent tout un discours social et politique qu'ils entendent beaucoup moins chez les artistes actuels, La Rumeur mis à part, tout un discours contestataire mais intelligent qu'ils trouvaient chez des artistes plus anciens comme la trinité IAM, NTM, Assassin, par exemple.

On a parlé de la vision Mme Michu : "le rap c'est la musique des Noirs et des Arabes". C'est quoi, justement, la position des fans de rap par rapport à ça ? Ils disent : "non, c'est pas ça" ; ou, "oui, en effet, c'est la musique des minorités et des opprimés" ?

En partie... Il y a la question du discours social, politique, mais ce n'est pas si général. Beaucoup écoutent ça comme n'importe quelle musique. Parmi les amateurs, je distingue les esthètes des contestataires nostalgiques. Les contestataires nostalgiques sont attachés au rap comme phénomène musical qui vient de la rue, avec ce que ça implique. Mais ça n'intéresse pas l'autre partie, qui rejoint un peu le public branché, d'ailleurs, sur certains aspects. On retrouve chez eux un désintérêt sur la question sociale, contestataire, sur les problèmes de cités, d'immigration, etc. Ça les intéresse dans l'absolu, mais ils ne cherchent pas à le rencontrer quand ils écoutent de la musique.

J'imagine qu'il n'y a quand même pas beaucoup de rappeurs de droite.

Il y a Doc Gynéco, non ?

Oui (rires). Mais je parlais plus du public.

Je pense que le public est socialement plus hétérogène que les artistes. Les rappeurs de droite, c'est vrai, ça ne court pas les rues. Enfin, je crois. Mais le public du rap n'est pas nécessairement de gauche. Et puis on peut toujours dire que le rap prône les valeurs capitalistes, l'argent, les voitures, etc... Si on aime ces valeurs et si on considère qu'elles nous dirigent plutôt à droite de l'échiquier politique, on est dans quelque chose qui reste cohérent.

Il y en a qui ont exprimé ça ?

En entretien ? Non. Ceux qui ont exprimé leurs opinions politiques en entretien étaient plutôt de gauche ou... anarchiste on va dire. Mais ils n'ont pas exprimé d'idées politiques de droite.

S'ils les ont, ils ne les expriment pas.

Non. Peut-être parce que, quelque part, ils ont dans l'idée que ça ne va pas avec. Mais ça s'entend. Pourquoi pas ? Dans les textes, le rap n'est pas forcément de gauche.

Les entretiens ont visé des gens qui écoutaient du rap. Mais est-ce qu'on a interrogé des gens qui y étaient complètement hermétiques ? Les anti-publics du rap, ou les publics de l'anti-rap ?

Je ne me suis pas intéressée aux non-publics, on ne peut pas tout faire ! Mais cela dit, j'ai fouillé de fond en comble l'ouvrage d'un sociologique qui s'appelle M. Lahire qui s'intitule La Culture des Individus, un pavé rempli d'extraits d'entretiens, où parfois le rap est abordé. Là, on peut voir les opinions en faveur comme en défaveur du rap. On retrouve des choses relativement classiques : "c'est pas de la musique" ; "c'est que de la violence" ; "ils chantent même pas" ; "c'est des trucs à la mode" ; "c'est pour les gars des cités". Des idées relativement...

… répandues.

Oui. Ce qui est surprenant, c'est que les opinions négatives n'émanent pas nécessairement plus des classes supérieures que des classes moyennes ou populaires. Ça donnait un petit peu d'eau à mon moulin en disant, attention, les choses ne sont pas si évidentes que ça. Dans l'ouvrage, on voit des gens de classes moyenne ou supérieure qui aiment le rap et le défendent avec des arguments soit relatifs aux textes, soit relatifs à la musique, ou encore à l'attitude politique des rappeurs.

Et ces publics, est-ce qu'ils s'opposent aux uns aux autres ? Ou est-ce qu'ils s'ignorent ? Est-ce qu'ils sont conscients qu'il y a d'autres fans de rap qu'eux ?

J'ai eu un très bon accueil des personnes à qui j'ai fait remplir le questionnaire, vraiment. Mais des fois, il y avait des a priori genre : "ah ouais, t'écoutes du rap, toi ? Ouais, mais toi t'écoutes La Caution". Et puis, il y a des petits jeunes qui découvrent et qui ne se rendent pas forcément compte que leurs parent peuvent aussi écouter du rap, pas forcément le même. Ils ne savent pas que les rappeurs de Public Enemy ont plus d'une quarantaine d'années. Ils ne savent même pas que Public Enemy existe d'ailleurs (rires).

Après, est-ce qu'ils s'opposent ? Non, ils ne s'opposent pas, c'est une coexistence assez pacifique. Mais on pourrait trouver deux personnes qui s'intéressent au rap et qui pourraient ne s'entendre sur rien du tout en ce qui concerne le rap, ça c'est certain.

Le livre de Stéphanie Molinero, Les Publics du Rap, est sorti chez l'Harmattan. Vous pouvez vous en procurer un exemplaire à ce lien.