Un duo à peu près inconnu sorti de Toronto et qui cite Noah23, Barracuda72 et Mindbender dans les notes de pochette, parmi des dizaines d’autres gens inconnus. Une imagerie science-fiction (la pochette, le titre), une rhétorique révolutionnaire (ce nom de groupe qui évoque les masses laborieuses, celui du label, cette silhouette de bolchevik en logo), une insistance sur la couleur rouge (la pochette encore, le nom du groupe à nouveau - et Phobos et Deimos, ne sont-ils pas les deux petits satellites de la planète rouge ?). Des sorties façon "This is rap music, paranoid and agressive for schizophrenic bi-polar manic depressives". Tout ça permet de se faire une première idée de la musique des Red Ants et de leur premier album. A priori, nous nous engageons de plain pied chez de nouveaux rappeurs canadiens arty et engagés.

RED ANTS - Phobos Deimos

Après enquête, il apparaît que les Red Ants sont à l’origine un trio formé de deux rappeurs d’origine guyanaise, Predaking et Modulok (drôle de pseudo, ça, Modulok...) et d’un beatmaker, Vincent Price, qui a effectivement côtoyé Noah23. Mais sur ce disque, les deux tiers seuls du groupe sont présents. Predaking n’intervient que sur un titre, "Boston Crab" et ce pour cause de prison... Hormis ce morceau et un autre avec un certain Astral, Modulok se retrouve seul avec son rap vindicatif à forte dose d’ego-trip, de paroles agressives et d’images ravageuses. Sa voix n’a rien d’exceptionnel, ce n'est pas elle qui tient le disque, mais il compense avec une folle virulence pas loin de dépasser les bornes. "Zyklon b-boy" (sur "Cockroach Omen") - hum.

La musique de Vincent Prize est à la hauteur de ce rap offensif. Elle est lourde, sombre et répétitive. Martiale en un mot. Souvent, cela manque de finesse. Le trait est trop marqué, l’effet trop insistant. Les beats disent trop ouvertement ce qu’ils veulent dire. Et cela peut-être saoulant ("Symbiotic Killing Fields", "Blunt Object"). Mais une poignée de titres tirent leur épingle du jeu, comme "Lot’s Wife" ou comme un "Incendiary Objects" d’autant plus péchu qu’il est question d’incendier les attributs capitalistes de notre société. D’autres titres, pénibles ou insignifiants à prime abord, se bonifient avec les écoutes ("Asphalt Static"). Et surtout, il y en a un largement au-dessus des autres, un que les deux compères, fort avisés, ont placé à la fin de l’album. Long et haletant, "Future Imperfect" commence comme un hommage nostalgique à une vie passée de grafeur, puis bascule tout à coup dans un paysage d’apocalypse urbaine.

Le futur promis au monde par ces fourmis rouges canadiennes paraît donc bien noir. Souhaitons tout de même au leur de n'être pas aussi imparfait que celui qu’ils décrivent.

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