Les compilations de singles, c'est bien, c'est cool. Il n'y a rien de mieux pour faire le bilan de la carrière d'un groupe consacré de longue date. Il n'y a rien de tel pour découper une œuvre au scalpel, la tête froide, débarrassé des passions du moment. Ce n'était sans doute pas le but de Singles 93-03 (d'ailleurs, c'est quoi le but d'un tel disque, à part de se vendre bien sûr ?), mais cette rétrospective des coups d'éclats des Chemical Brothers se prête à merveille à l'examen.

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D'expérience, nous savons que le temps ne laisse pas toujours intacts les artistes représentatifs d'une époque. Leur son colle tellement à leur ère, il la symbolise tant, qu'il vieillit souvent avec elle. Assurément, les Chemical Brothers sont de ces groupes générationnels. Les critiques ont même dû inventer un nom pour désigner la bouillabaisse musicale popularisée par les faux frères (ce fût big beat, et même brit hop). Tom Rowlands et Ed Simons ont été des passeurs, la clé du grand carrefour entre les styles qui a marqué le milieu des 90's et ont prouvé aux derniers récalcitrants que les musiques "de danse" pouvaient passer l'épreuve de l'album.

Aujourd'hui, les convertis de l'un ou de l'autre camp ont appris à goûter les plaisirs purs et extrêmes de la musique électronique, du hip hop, ou de tout autre style passé à la moulinette par les Chemical Brothers. Ils n'ont sans doute plus grand raison de se pencher sur le crossover original. Pourtant, les titres des Chem Bros regroupés sur la compilation Singles 93-03 font encore leur petit effet. Ils démontrent que le duo a incomparablement mieux supporté l'épreuve des ans que les contemporains de la même famille (les Propellerheads ou Fatboy Slim, par exemple). Même si (cela est flagrant avec l'ordre chronologique des morceaux) il a progressivement perdu de son brio au fil des ans.

Tout commence en effet assez fort avec "Song to the Sirens", premier buzz, premier coup de force assez irréprochable de ceux qui s'appelaient alors les Dust Brothers. Après, avec le temps des featurings (dès le premier album avec une Beth Orton récurrente, mais plus encore sur le deuxième avec des superstars à la Noël Gallagher ou des cautions underground à la Mercury Rev), les réussites sont encore au rendez-vous ("The Private Psychedelic Reel"), mais le tube, toujours très efficace, se fait déjà plus grossier ("Block Rockin Beats", "Setting Sun"). Les envies de triomphe deviennent plus évidentes encore, la volonté de rejoindre et de prolonger le rock, son histoire, ses moyens, son mythe, plus flagrante. Cela se manifeste encore sur Surrender, quand les Chem Bros recourent (certes avec adresse) au sous-genre racoleur et honni qu'est la trance ("Hey Boy Hey Girl"). Après ce troisième album, disque charnière en demi-teinte, le duo perd de sa superbe et certains de ses titres en deviennent presque insignifiants ("Star Guitar").

Singles 93-03 a beau se terminer sur un "Golden Path" inédit plutôt pas mal en compagnie des Flaming Lips, il cache mal cette perte de régime logique et naturelle. Mais il contient cependant un bon petit lot de morceaux capables de dynamiter n'importe quelle soirée. Et il devrait donner l'envie à certains, et c'est là l'essentiel, de se replonger sur Exit Planet Dust voire sur Dig Your Own Hole, le choc encaissé, l'enthousiasme retombé, mais le plaisir inchangé.