Peux-tu nous resituer Boulder dDash par rapport à dDamage, qui est qui, qui fait quoi ?

Personnellement, j’ai commencé à faire de la musique il y a 12 ans. J’ai enregistré mon premier album de Boulder dDash deux semaines après avoir commencé à faire de la basse, mon premier instrument.

Tu t’appelais déjà Boulder dDash ?

Oui, mais il n’y avait qu’un seul "d" à l’époque. Seule distinction. Bon, "album" est un bien grand mot, vu que ça n’était qu’une cassette démo remplie de morceaux absolument inécoutables. En fait, c’est un projet qui a vraiment grandi avec moi, tout simplement, depuis mes débuts dans la musique jusqu’à aujourd’hui. dDamage est arrivé bien après, quand j’ai commencé à faire de la musique avec mon frère. Aujourd’hui, Boulder dDash sort son premier album officiel, mais j’ai dû enregistrer tout confondu, albums écoutables et albums non écoutables, une douzaine d’albums.

Celui qui sort est une sorte de best-of ?

Non. Ce ne sont que des morceaux qui ont été faits en 2002. En fait, j’ai totalement arrêté Boulder dDash pendant l’enregistrement de Harsh Reality of Daily Life. Une fois cet album sorti, dDamage a embrayé sur d’autres morceaux qui se trouveront sur le prochain album. Les enregistrements et les concerts m’ont pris énormément de temps. J’avais donc décidé d’arrêter définitivement le projet Boulder dDash. Mais à la sortie de Kotva, le premier album de Hypo, j’ai rencontré Anthony (= Hypo) sur l’organisation d’un concert. Je me suis très bien entendu avec lui et je me suis vraiment reconnu dans son album. Par la musique, j’ai un peu trouvé l’ami que je cherchais depuis le lycée, quelqu’un avec qui je puisse partager mes démos. Je lui ai fait une compilation de plein de trucs à moi plus ou moins écoutables et il a vraiment flashé dessus. Il m’a redonné de grands coups de pied au cul pour que je recommence Boulder dDash. C’est lui qui, sans me demander mon avis d’ailleurs, a fait des démarches pour moi. C’est grâce à lui que je me retrouve aujourd’hui sur Angelika Koehlermann.

C’est curieux justement, comment t’es tu retrouvé sur un label autrichien ?

Il avait comme projet d’envoyer une quinzaine de démos. Il en a envoyé deux. Une à Spymania, son ancien label, mais il faisait faillite. Et Angelika Koehlermann. Et là il a visé dans le mille. Gerhardt, le boss du label, a été très positif. Il a dit que sur les 20 titres qu’il avait reçu, il en prenait 15, et qu’il en attendait quelques autres.

Il y a une particularité sur ce disque, c’est que c’est un double album caché, avec 20 titres audio normaux et 12 MP3. Ces MP3 ont une tonalité un peu différente, c’est quoi leur histoire ?

C’est un délire de ma part. C’est les morceaux dont je t’ai parlés qu’on peut qualifier d’inécoutables. Ils ont un gros potentiel comique, mais potentiellement ça ne pète pas plus loin que ça. Je n’avais strictement jamais rien sorti, et j’ai trouvé ça rigolo après 10 ans de vide presque total, de sortir ces trucs là d’une manière ou d’une autre. A l’origine, Gerhardt voulait que je mette un morceau caché à la fin de l’album. Je lui ai répondu "j’ai peut-être quarante heures de morceaux à la maison, à la rigueur je préférerais qu’il y ait un album caché".

C’est précisé sur la pochette de toutes façons.

Je ne voulais pas que ça le soit. Finalement ça l’est. Les gens de Mego étaient très contents de mettre ça sur leur site Internet comme accroche. Mais je suis tellement content de sortir un album que finalement, le macaron qu’il y a sur mon disque ne me dérange pas plus que ça.

J’ai appris aujourd’hui que tu avais un morceau sur la compile bonus du label rap Institubes.

C’est une surprise. Je l’ai appris il y a peu de temps. Il y a un morceau sur lequel Tekilatex (NDLR : membre de TTC et co-manager d’Institubes) avait beaucoup accroché, "Mon Chinze" et il l’a mis sur cette compile. Il passe ce morceau assez régulièrement dans les émissions qu’il fait à la radio. Il n’avait absolument pas besoin de me demander la permission, c’est un truc non commercialisé. C’est un peu comme un DJ hip hop qui fait sa mixtape, tout simplement. D’ailleurs, si on excepte le morceau de Boulder dDash, j’imagine que ça va être un truc très hip hop. Je ne l’ai pas entendu pour l’instant.

Le morceau c’est "Mon Singe" ?

A l’origine, c’était ‘Mon Singe’ et c’est devenu "Mon Chinze".

Justement, c’est quoi ton délire sur les singes ?

Je ne me souviens plus de quand cela date. Je trouve parfois un souvenir qui pourrait être l’élément déclencheur. Puis, quelques jours plus tard, j’en trouve un autre, puis un autre et encore un autre. Et tout se mélange... Alors je ne sais plus. Je suis effectivement obsédé par les singes. Ces dernières années, ça a pris de telles proportions que j’ai pris l’habitude de revêtir mon costume de gorille pour aller marcher dans la rue (on peut me voir avec dans le dernier clip de dDamage). Il m’arrive de le mettre, puis d’aller dans la chambre de mon petit frère pour jouer avec lui. Un peu comme si je devenais son ami imaginaire. Voilà, je suis totalement possédé par ces histoires de singes. Cela fait longtemps que ça s’est institué dans notre rapport à la musique.

Jusqu’au nom du prochain album de dDamage...

Oui. Avec mon grand frère, nous avons voulu longtemps faire croire aux gens que dDamage était un duo composé d’un être humain et d’un singe. Bien sûr, c’est faux. Puis, nous nous sommes aperçus ensuite que la vérité était finalement largement plus drôle que le mensonge. C’est ce que nous expliquons à l’intérieur du livret de Radio Ape : dDamage est en fait un duo composé de deux frères humains, l’un des deux ayant toujours regretté d’être né humain et non singe.

On a parlé de tes liens avec les gens d’Institubes, donc des rappeurs. Mais tu es aussi lié par ailleurs à Active Suspension et Clapping Music, qui mettent en avant une sorte de folk électronique. Ton album lui-même s’appelle Alien Folk Trash. C’est quelque chose dans laquelle tu te reconnais ?

En fait, Alien Folk Trash c’est une expression que j’ai trouvée dans un article de presse. A la base, l’album devait s’appeler différemment. Ce que je trouve drôle, c’est que chaque mot a une signification double. "Alien", étranger, extra-terrestre. "Folk", un style de musique, mais "folk", c’est aussi un autochtone. C’est un petit peu plus ambigu sur le "trash". A la base, cette orthographe veut dire "poubelle", mais c’est aussi le style musical qu’on orthographie très mal avec un "h". J’ai un tout petit peu regretté d’avoir choisi ce titre après la sortie de l’album. Finalement, avec du recul, je me suis aperçu qu’il y avait un truc très pompeux. Ca fait vaguement penser à un nouveau style musical, à une nouvelle étiquette.

Je l’ai un peu lu comme ça. Surtout que ça correspond à d’autres artistes de ton entourage, des gens qu’on retrouve chez Active Suspension par exemple. Au moins "Alien Folk".

C’est ce que j’ai regretté, mais finalement, si ça fait penser à cette petite scène, allons-y, peu importe. C’est un scène que j’affectionne énormément.

Tu vas me dire si je fais fausse route ou pas. En écoutant l’album j’ai eu l’impression d’écouter, malgré l’électronique et tout ça, un disque de guitariste.

(silence stupéfait). C’est vrai ?

Enfin, pas un truc de guitar hero, évidemment. Un truc de guitariste folk. Il y a des morceaux qui sont franchement barrés électroniques, mais d’autres pourraient être aussi bien à la guitare sèche.

Je vois ce que tu veux dire. Mais si je dois reprendre ces morceaux tous seuls avec ma guitare acoustique (j’ai déjà essayé), ça sonne foireux. En résumé, je suis un très mauvais guitariste, je fais énormément de retakes. Je peux pousser la chansonnette avec ma guitare, mais ça n’ira pas plus loin que trois accords majeurs. Guitariste, c’est quelque chose que je n’ai jamais réussi à être, mais si on peut faire croire ça aux gens allons-y !

Tu es plutôt un "machiniste" ?

Je tire mon parti de chaque technique en faisant le minimum essentiel. J’essaye de faire des chansons de bric et de broc. Je fais de mon mieux même si c’est construit avec un bout de scotch numérique et des pistes de multi-enregistreur 4 pistes superposées. Je n’ai pas non plus de revendication lo-fi, à la limite du politique, "je fais mes chansons comme ça et je vous emmerde". Moi, j’essaie de les faire les plus propres possibles, les plus léchées possibles, quitte à donner l’illusion que c’est un disque de guitariste, par exemple (rires).

Je suppose naturellement que tu n’as cherché à copier personne. Mais quand même, à qui as-tu pensé en faisant cet album ?

Depuis que j’ai commencé Boulder dDash j’ai peu ou prou les mêmes influences. Elles me collent depuis une petite dizaine d’années. Elles vont du Mellow Gold de Beck aux premiers Sebadoh. Et avec le temps, il y a eu un apport mélodique électronique qui s’est greffé à tout ça. Du côté de Michiko Kusaki, qui a commencé sur Angelika Koehlermann d’ailleurs. Ca a énormément orienté mon ouverture vers la composition mélodique. Hypo également. Et sur un niveau plus international, un peu comme tout le monde en électronique, j’ai été complètement foudroyé par un label comme Warp. Mais tu as dû remarquer quand même que l’apport électronique n’est pas du tout majoritaire sur l’album. C’est plus pour la ponctuation de l’album, dans les arrangements. Je ne sais pas si c’est ce que tu as voulu dire par "disque de guitariste", mais je suis assez content que ce disque soit perçu comme issu davantage d’une culture rock’n roll que d’une culture électronique.

C’est là que vient la critique habituelle concernant toute cette scène : c’est du rock qui avance avec un nez rouge, ou avec un masque.

Je ne vais pas essayer de défendre Active en réponse à ces critiques. Je pense qu'ils n'ont pas besoin de moi pour ça. Tu t’aperçois qu’il y a un gros revirement de situation avec tous ces labels français qui sont arrivés en même temps. Ils restent un peu électroniques avec un disque par-ci par-là, mais ils s’ouvrent vers le rock, ils s’ouvrent vers le hip hop. Je n’ai rien contre le fait qu’ils fassent autre chose. Qu’ils sortent des bons disques et point à la ligne. Mais j’ai l’impression qu’avec toute cette remise en question, Active Suspension est en train de se dire "vu que l’électronique est en train de flancher c’est le moment où jamais de continuer à en faire". Même quand j’écoute le disque le plus rock de chez Active, c’est à dire le dernier, le Davide Balula (NDLR : Pellicule), j’ai plutôt l’impression d’entendre du rock qui a été filtré par Fennesz.

Pour en revenir à cette scène, je ne veux pas m’en exclure. J’ai été accueilli à bras ouverts par des labels comme Active et Clapping. Je suis très heureux de travailler avec eux. Je les respecte depuis l’époque où j’étais uniquement dans leur public. Je suis très heureux si Boulder dDash vient s’y agréger, mais c’est extérieur à tout ça. C’est un projet que j’ai créé quand j’avais 14 ans, quand j’étais tout seul comme un con dans ma chambre et que je m’évertuais à faire du Nirvana avec une basse et une boîte à rythmes. Ca, ce n’est pas parti, même si j’essaie de faire des choses plus personnelles. Ce côté rock, j’espère qu’il ne mourra jamais chez moi.

Pour l’instant, tu as les yeux rivés sur cet album je suppose. Tu envisages quelque chose au-delà mis à part dDamage ?

J’ai un album en préparation avec Hypo, qui sera un foutoir. On va se remixer mutuellement, on fera des morceaux ensemble, il y aura des inédits de l’un et de l’autre, des collaborations à divers degrés. Autrement, j’espère avoir le temps dans les mois à venir de commencer un nouvel album de Boulder dDash seul. Mais c’est un petit peu compromis parce que je suis vraiment en train de me noyer sous le boulot. Je vais me concentrer énormément sur la sortie du dDamage avec beaucoup de concerts et des démarches qui vont prendre beaucoup de temps. Et puis il y a ce disque de hip hop qu’on a commencé avec mon frère. Et parallèlement, c’est quelque chose de nouveau chez moi, j’ai envie de me lancer de plus en plus dans un travail de production. J’ai vraiment envie de prendre un artiste sous mon aile et de produire son album de A à Z. Je pense en priorité à ma petite sœur qui a fait un morceau sur la compilation Toxic Girls, sous le nom de Milky-me.