Désormais signé chez Gooom, Abstrackt Keal Agram sort son deuxième album en ce début 2003, un peu plus d’un an après un premier disque qui avait dévoilé la capacité du duo à produire un hip hop instrumental à la française tout à fait irréprochable.

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A première écoute, Cluster Ville dévoile les mêmes atouts que son prédécesseur : les deux premiers titres sont des instrumentaux électroniques mélodieux et jamais lassants, habilement mâtinés d’éléments hip hop (les scratches de DJ Dude et de Robert le Diable / Magnifique notamment), et très rapidement séduisants ("Pièce", tout particulièrement). Après, cependant, Abstrackt Keal Agram prend des risques, étend son répertoire à d’autres territoires et dévoile une suite beaucoup plus éclatée que cette succession réussie de chansons sans parole qu’était leur premier album. Cela commence avec le troisième titre, "Brouillard", plus abscons et électronique que n’importe lequel de leurs titres précédents, cela se poursuit avec la fin de "Petersbourg", passage court au piano parsemé de rires et de chuchotements ("je vais à Petersbourg"), cela se termine avec un final lent et réussi ("Nietzsche") et cela se traduit surtout par deux titres de rap véritable, venus renforcer les atours hip hop de la musique d’A.K.A.

Et c’est l’une des curiosités de l’album : il y a des emcees sur Cluster Ville, et non des moindres : côté international, s’y collent Cryptic et Alaska de la Atoms Family ; côté français, La Caution et leur collègue de label James Delleck. On connaît le risque que comportent souvent les rencontres trans-genres et ce poison de la musique populaire contemporaine qu’on appelle le "featuring". Même si ces titres rap ne sont pas les meilleurs de l'album, le duo s’en sort plutôt bien, davantage grâce à ses propres beats que par les registres assez habituels utilisés par chaque rappeur : un style battle façon "sauveurs du rap" pour la Atoms Fam sur "Mata Hari" ; de la science-fiction anatomique pour Hi-Tekk, du rap de rue élaboré pour Nikkfurie et un manifeste artistique couci-couça pour James Delleck.

C’est toutefois dans son format habituel qu’Abstrackt convainc le mieux. Avec des titres comme le "Pièce" déjà cité, "A.C.", présent sur l’excellente compilation Idwet ID02, ou comme le long et haletant "Jason Lytle". Cluster Ville n’a peut-être pas la constance et la longueur du premier album, son caractère plus "pop", mais chacun de titres cités garantit, confirme et prolonge l’intérêt porté jusqu’ici à Abstrackt Keal Agram.