Rien de plus décevant que les grandes promesses. Avant sa sortie en mai dernier, Fantastic Damage pouvait facilement être qualifié d'album hip hop le plus attendu de l'année, on espérait qu'il soit l'aboutissement de la carrière de beatmaker et de rappeur de l'ancien Comapny Flow. Mais voilà, les airs de cathédrale gothique de l'album, conjugués aux raps assez pénibles de El-P, rendent le tout harassant, indigeste.

El-P - Fantastic Damage

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Qu’est-ce ?

Est-ce l’espérance qui, trop haute, ne pouvait aboutir à rien d’autre qu’à une immense déception ? Sont-ce les promesses déraisonnables d’El-P, mauvais teaser, qui prétendait avoir gardé ses instrus les plus hallucinées pour son album solo ? Est-ce ce rouleau compresseur sonore continu, épuisant, harassant, qui n’est au bout du compte rien d’autre que vain ? Est-ce cette tentative infructueuse de redécouvrir et de dépoussiérer 10 ans après le son terroriste du Bomb Squad, à grand coup de guitares rock ("Stepfather Factory") et de beats dérangés ? Est-ce le recours à une artillerie sonore finalement bien moins neuve, imaginative et inspirée qu’on souhaiterait le croire ?

Est-ce l’auteur qui, arrivé au terme de son inspiration, ne peut plus rien proposer d’autre qu’un mélange de Funcrusher Plus (pour les atours bruts, la réaffirmation du parti-pris "independent as fuck"), de Little Johnny (pour les sons triturés) et de The Cold Vein (pour la grandiloquence et les envolées des instrus) ? Sont-ce les trouvailles éprouvées sur ces albums, réminiscentes tout au long de Fantastic Damage, qui tournent à la recette ? Est-ce l’impuissance d’El-P à dépasser et à renouveler ces chefs d’œuvre ?

Est-ce l’omniprésence épuisante d’El-P au emceeing, un art qu’il a toujours moins bien maîtrisé que la production ? Les quelques passages purement instrumentaux ne surclassent-ils pas les morceaux rappés de album ? Et encore, ne doivent-ils pas autant à DJ Abilities, embauché au deejaying, qu’à El-P lui-même ? Aesop Rock ne vient-il pas lui-même éclipser avec aisance son camarade de jeu sur "Delorean" ?

Est-ce la fidélité à des principes rap périmés ? Est-ce cette obstination à ancrer sa vie dans le hip-hop ("Squeegee Man"), à en affirmer les traumatismes ("Stepfather Factory", "Constellation Funk") sur le ton du rappeur cérébral fâché ? Est-ce qu’El-P donne déjà dans l’auto-caricature, inéluctable destin des artistes cultes ? Est-ce sa profession de foi convenue de b-boy du futur circonspect devant les velléités abstraites de certains ? Est-ce qu’en Docteur Frankestein du hip hop, l’ex Co-Flow est aujourd’hui dépassé par les créatures qu’il a lui-même contribué à créer, qu'il a décomplexées ?

Peu importe la cause, peu importe la raison, peu importe qu’elles figurent ou non parmi toutes celles proposées jusqu’ici, bonnes ou mauvaises. Fantastic Damage déçoit. Pas qu’il soit un mauvais album. Il s’écoute sans heurt, parfois avec intérêt. Et malgré un ennui assez constant, rien n’est ici totalement rédhibitoire. Mais il est évident que cet album ne rejoindra pas Funcrusher Plus, Little Johnny et The Cold Vein au panthéon des albums hip hop.

Puisse le temps nous démentir. Mais pour l’instant, la grande œuvre de l’homme qui est à l’origine du hip-hop que nous défendons, celui sans lequel notre webzine n’existerait lui-même sans doute pas, n’a rien de fantastique et ne causera ici aucun dommage sérieux.