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Mais Donkishot ne se résume pas à cette crudité, fut-elle souvent extrême. Il élargit son champ sur "Manutention Lourde" (une sorte de complément à "Restauration Rapide"), ou sur "Lolo", un titre enflammé dédié à la regrettée Lolo Ferrari. Et à plusieurs reprises, il s'engage dans des ego-trips (l'excellent "Ce n'est que l'Intro") d'un mépris et d'une puissance tels qu'on ne sait plus à qui il les destine : à ses détracteurs, à nous, à d'autres, à lui-même ? Comme toujours lorsqu'un artiste décide de lever sans complaisance ses propres inhibitions, l'auditeur risque d'y découvrir avec horreur son propre portrait.

La force des paroles de Donkishot n'est pas dans le travail d'écriture. Jamais le rappeur ne s'engage dans des exercices stylistiques complexes, abscons, à tiroir. Bien au contraire, tout sent l'urgent et le vite fait. Ici, il fait rimer deux adjectifs dont la racine est la même ("atrophié" et "hypertrophié"), là il inverse le mot "convive" et l'expression "vivent les cons". ses jeux de mots sont faciles, banals. Mais ils n'en sont que plus puissants, leur sens même en devient plus naturel, plus évident, plus incontournable. Donkishot utilise le rap pour ce qu'il est, une forme de poésie brutale qui facilite la tâche de l'auditeur, qui lui permet de faire l'économie de son intelligence.

Donkishot parvient d'autant mieux à se faire entendre que son phrasé précis est totalement inféodé aux paroles, à leur sens. Ici, aucune trace de la scansion scolaire que les rappeurs français traduisent par l'expression navrante "avoir du flow". Ce MC n'a pas pour seul souci de faire rimer ses textes et de les caler sur des beats, mais d'en renforcer et d'en décupler l'impact, férocement, jusqu'au malaise. Successivement, il change d'intonation, prend un timbre railleur ou une voix faussement ahurie, chantonne tout à coup, puis susurre, puis crie, puis ricane. Et ce toujours à propos, sur l'image ou sur la punchline qui fait mal. A ce niveau, absolument impossible de ne pas penser à Léo Ferré, une influence, peut-être la seule, que Donkishot reconnaît.

Sur la dernière piste, Donkishot ironise sur ceux qui considèrent que son rap, pourtant si explicite, est difficile d'accès. Evidemment, il l'est, il le reconnaît, il l'assume, il le proclame. Non sans outrager l'auditeur une nouvelle fois avec l'une de ses instrus les plus radicales, et les plus douloureusement jouissives. Une leçon que les apprentis provocateurs rock nihilistes tentés par le rap, au hasard Programme ou Costes, feraient tout aussi bien de retenir que le rappeur français moyen. Donkishot a acquis quelque chose qu'ils n'ont pas : les bases rap, faites certes de musicalité rythmique et mélodique, mais aussi de cet égocentrisme assumé, envahissant, total, constant et obsédant sans lequel tout artiste n'est qu'un menteur, un travesti de plus.