Composé du MC Soulheir the ManCHILD, MC de son état, et du DJ et producteur Dust, Mars Ill prétend sur "Touch & Go" préférer le Christ et sa famille au hip-hop. On pourrait donc craindre le pire du rap chrétien, et que le message prenne le pas sur la musique. Mais non au contraire. Histoire de rassurer sur sa filiation et de contrebalancer cette déclaration, le duo d'Atlanta entame l’album par les dédicaces d’artistes de la scène indépendante, notamment Chief Xcel et The Gift of Gab de Blackalicious, ce qui est un signe plutôt encourageant.

MARS ILL - Raw Material

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Question son, Mars Ill assure. Il n’y a qu’à écouter les deux "Indulgent Instrumental", les scratches de "We’ll Live Underground" et "Send a Man" pour réaliser que DJ Dust a une vraie fibre musicale. Et comme il n’a pas l’intention de garder les meilleurs beats pour lui, les titres rappés s'avèrent pas mal non plus, avec ou sans les renforts de Bruno, de Playdough, et surtout de Scott Matelic sur "Love’s Not", "Rap Fans" et "Try Again", le producteur du "Year Ov Da Sexxx Symbol" de Sole, l’un des quelques temps forts de Bottle of Humans.

Certes, il n'y a pas de tube de cet album, à part peut-être "Under the Sun", qui reprend sur des trompettes les mots fameux de la Bible. Mais constant, homogène, Raw Material gagne en substance à chaque écoute. Les compositions de de "Black Market" et de "Compound Fractures" (une guitare acoustique, qui finit sans MC et dans une pluie de scratches), approchent la perfection, et toutes les autres sont solides. Les plus linéaires des titres sont sauvés par des finales d'anthologie, comme "Sounds of Music"., ou quelques ruptures bien senties, comme celle qui survient sur le son vaguement asiatique de "Who will Answer ?". Le seul moment vraiment douteux, en fait, est l'ultime plage, "The End", où nos amis font se succéder des extraits des BO de Star Wars ("La Marche de l’Empire") et de L’Exorciste (ah ah, l’exorciste, ça ne s’invente pas !).

Question raps, Soulheir the ManCHILD est à classer parmi les voix blanches qui compensent avec talent leur manque de coffre par un phrasé précis et affûté, dans un registre assez proche de Slug ("Sphere of Hip-Hop", d'ailleurs, n'est pas sans évoquer le "Scapegoat" d'Atmosphere, avec sa liste à la Prévert). Et ça marche très bien. Reste un hic : les paroles. Si le christianisme d'un rappeur comme Braille est plutôt sympathique, l’homme se contentant de rappeler à qui le veut bien l’importance du Christ dans sa vie, chez Soulheir, le ton est beaucoup moins personnel, nettement plus idéologique. Passe encore le début du moralisateur "Love’s Not", un titre accompagné à merveille d’une ligne de basse et d’une flûte fort pertinentes :

Je sais ce qu’est l’amour, mais je sais mieux le définir par ce qu’il n’est pas ..., l’amour, ça n’est pas délaisser femme et enfants sans prévenir.

Pourquoi pas ? Mais en conclusion, ce charmant Soulheir nous gratifie d’un :

L’amour, ça n’est pas l’avortement. L’amour, c’est notre Dieu, crucifié au nom des hommes.

Ouch...

Alors évidemment, habitués que nous sommes aux débordements gangsta ou horrorcore, ces bondieuseries ne devraient pas nous effrayer. A l’exception près qu’il est beaucoup plus facile de prendre au second degré les paroles d'un Necro que celles de Soulheir the ManCHILD. Et pas forcément supportable d’écouter un sermon long de plus d’une heure. Vivement que DJ Dust livre un album entièrement instrumental, ou que Soulheir décide de parler, je sais pas, du temps qu’il fait, de la crise de la vache folle ou de la tectonique des plaques. En attendant, achetez Raw Material, cet album est vraiment bon. Mais gardez juste en tête qu’une toute petit partie de votre argent ira peut-être aux associations anti-avortement.