Très clairement, l'ambition des gens qui s'agitent au sein et autour du label Kerozen est de créer en France une véritable scène hip hop indépendante, pendant de celle qui sévit depuis quelques années déjà à l'international. La mixtape L'Antre de la Folie (In the Mouth of Madness pour les Anglais), sortie l'an dernier et patronnée par Tekila de TTC et par James Delleck, est tout aussi clairement la traduction de cette ambition.

JAMES DELLECK & TEKILATEX - L'Antre de la Folie

Kerozen :: 2000 :: mixtape indisponible

Ayant réuni autour d'eux une sorte de "best of" de la scène française actuelle (La totalité de l'Armée des 12 Singes, Rockin’ Squat d’Assassin, Cyanure d'ATK, Dabaaz de Triptik, Safear le Joaillier et bien d’autres...), mais aussi quelques intervenants étrangers (le finlandais Pijall, l'anglais Killa Kela, l'anglo-russe DJ Vadim), les instigateurs livrent sur cette longue cassette une débauche assez sidérante de titres originaux et de vieux sons recyclés, de freestyles, de beat boxing, d'instrumentaux osés, le tout dans l'atmosphère fiévreuse et délirante annoncée par le titre.

Fiévreux, délirant, hilarant, intrigant, riche, astucieux, souvent impressionnant, les qualificatifs abondent pour qui cherche à définir L'Antre de la Folie. La mixtape regorge d'idées, part dans tous les sens. Alors par où l'attaquer ? Par les emcees peut-être ? Chacun trouvera son comptant de ce côté-là, d'un freestyle sur le cassoulet à une imitation de Georges Brassens tous deux signés par Cyanure, en passant par les paroles hallucinées des MC's de l'Armée des 12.

Même satiété pour les têtes chercheuses friandes de nouveaux sons. Aussi à l'aise avec des paroles ("C'est In") qu'avec des instrumentaux hip hop voire drum'n bass et ragga jungle, James Delleck est sans l'aide de personne à même de combler tous les appétits. Il est tout de même épaulé par Nikkfurie et Hi-Tekk de La Caution, DJ Wamba de Visjoner et DJ Orgasmic du Club des Loosers, beatmakers de leurs propres formations, ainsi que par Tido de TTC qui produit ses protégés de Dyslexie et par Flach Gordon (aujourd’hui Mr. Flash).

N'ayant pas eu le temps de concocter tous les sons planifiés, les gens de L'Antre de la Folie ont aussi fait de nécessité vertu et puisé sans vergogne dans le patrimoine international. C'est ainsi qu'une caricature/hommage au g-funk et au gangsta rap ("WesydeG’s") utilise rien de moins que le titre emblématique de Dr. Dre, "Nothing but a "G" Thang", pour appâter le chaland. Ce genre de recyclage est cependant totalement bienvenu. Et d'une, il met en valeur le talent des MC, aussi à l'aise sur du son ricain que leurs collègues d'Outre-Atlantique. Et de deux, il fait œuvre d'apprentissage envers le public hip hop francophone traditionnel, en lui proposant, outre un Dr. Dre qui n'a plus à se faire connaître, une pléiade de sons issus des indépendants. Nous avons droit à deux reprises à du Company Flow, au "Brooklyn Hard Rock" de Thirstin Howl III, voire à du DJ Vadim, le temps de l'apocalyptique "Traduction Destruction", cette fois trilingue : français, anglais et… finnois !

Outre quelques moment un peu plus poussifs qu'on ne désignera pas, émerge de tout cela une bonne pléiade de hits potentiels. Oui de hits, qui pourraient même passer en continu à la radio dans un monde idéal, même s'ils ne respectent aucun des formats habituels. Parmi eux, le dingo "La Barre de Fer" du duo Psychotron (Tekila de TTC et Hi-Tekk de La Caution), le "C'est In" sautillant de James Delleck, attaque en règle contre les branchés au rabais, le "Sanity Dismissed" de Koast (de 360 Physicals), l’hommage à Scoubidou "La Momie ou la Malédiction du Sarcophage", le final "Tiers Monde Galaxie" signé par La Caution, et d’autres encore.

La volonté de proposer un rap indé à la française aurait pu mener au désastre. Après tout, tous genres musicaux confondus, notre pays est le royaume des copies indignes et indigestes. Les instigateurs de cette mixtape ne succombent cependant pas à ce syndrome. Forts d'un parcours rapologique long, riche, et pas si différent que celui d'autres acharnés du hip hop en France, ils ont le mérite de cultiver un ton qui les distingue des indépendants américains. Et ce ton, encore plus rare sur la scène française, s'appelle tout bonnement l'humour, le détachement. Alors te sens-tu prêt à entrer toi aussi dans L'Antre de la Folie ?