Doxa :: 2001 :: acheter ce disque

Leur nom n’est pas encore illustre, mais les gens qui avancent incognito sous le nom d’Incognegro sont pourtant loin d’être des inconnus. Le groupe n’est ni plus ni moins qu’une nouvelle mouture de The Goats, formation hip hop de Philadelphie qui avait marqué le début des 90’s de son empreinte, très live et très métissée d’autres genres, funk et rock en tête. Sans Mark Boyce, parti rejoindre Boss Hog, le groupe de Jon Spencer, MC Uh-Oh, DJ Smoove et le clavier Gungi Brain sont repartis en 1997 sur de nouvelles bases. Des enregistrements sont rapidement sortis, notamment un album éponyme, en 1999. Le jugeant inachevé, Incognegro en a enregistré une version améliorée, qui n’est autre que ce Keepin’ it Lovely aujourd’hui disponible.

L’eau a coulé sous les ponts depuis Tricks of the Shade. Si la démarche live des Goats a été reprise par les Roots, originaires comme eux de Philly, le rap a bien changé. Incognegro aurait pu en faire de même, mais Keepin’ it Lovely ne surprendra aucun fan de The Goats. Indifférent au vacarme alentour et fidèle à ce qu’il maîtrise le mieux, le groupe prolonge le son et le style qui l’a fait connaître, soit un hip hop fortement mâtiné de rock. S’y greffent tout au plus quelques wutangueries éparses, et le ton y est légèrement moins politique qu’avant.

L’avantage, quand ont utilise de nombreux instruments (guitares, batterie, orgue, scratches, quelques machines, etc...) et qu'on privilégie une démarche live, on le sait, c'est que cela évite la monotonie. Et de fait, chaque titre de l’album a une sacrée identité, et fait mouche rapidement. Ce qui n’empêche pas certains de s’extirper du lot, parmi lesquels ce "Brand New Caddy" qui reprend, comme son nom le suggère, l’introduction du "Brand New Cadillac" de Vince Taylor tel que le Clash l'interprète sur London Calling. Très dynamique, agrémenté de choeurs réjouissants, le titre est un exemple de recyclage réussi. Et puisque qu’il est question de réminiscences, l’orgue fou de "Bartender" n’est pas sans évoquer le "Organ Donor" de DJ Shadow.

Les autres plages mémorables sont un "Big Man" qui emploie à la perfection un contrepoint entre un couplet linéaire et un refrain bien punchy. Ou, plus encore, la version originale de "Philly". Ou aussi l’inquiétant "Last Call" et ses déclamations à la Johnny Rotten, meilleur titre à tendance rock de l’album. Et finalement, l’entraînante conclusion qu’est "Can You Feel it", retour opportun à des choses franchement plus rap ("yo yo yo" nous crie-t-on). A noter également, de façon plus marginale, "Couch Surfin'", titre instrumental très avenant, charmant mélange d’orgue et d’électronique.

Funky (les guitares de "Come on Down"), quelque chose entre pop et soul ("Grooves galore") ou franchement très rock ("Philly Remake") mais sans tomber dans les enfantillages fusion, parsemés de singularités comme le refrain façon crooner fatigué de "Sunny Days", les autres titres complètent agréablement l’album, sans atteindre pour autant des sommets. Au total, puisque la comparaison est inévitable, il faut bien reconnaître que Keepin’ it Lovely n’est pas un nouveau Tricks of the Shade. Mais il prouve que la règle selon laquelle les rappeurs vieillissent mal n'est plus forcément vraie. Et regorge de titres qui, portés sur scène, seront vraisemblablement de vrais missiles supersoniques.

PS : une autre version de cet album était sortie antérieurement, sous une autre pochette et sous le simple nom d'Incognegro