Alariana / Warner :: 2001 :: [acheter ce disque

Première écoute : bon sang, que cet album est affligeant. Déplorable, lamentable, pitoyable. Imaginez une heure de temps de préchi précha "conscient" à la française dicté avec un air de chien battu par une caillera revenue de tout, sans répit et avec gravité : eh les petits frères, faut arrêter avec la violence, l'argent vous empoisonne la vie et vous faîtes pleurer vos pères et vos mères. Déposez les armes et retrouvez vos racines. Ecoutez bien ce que j'ai à vous dire, moi qui ai tant vécu.

Voilà pour l'essentiel du propos. En Jean Valjean des temps modernes, l'ancien Ideal J nous fait le coup du malfrat repenti, transfiguré par la religion, et décline ses leçons de vie sur plusieurs modes le long des 11 plages de l'album. Le tout est énoncé conscien(cieusement), avec l'application et la poésie d'un collégien : et que je te fasse rimer deux vers avec le même mot ("est-ce comme ça que tu les remercie, un jour il faudra que tu prennes le temps de leur dire merci", entre beaucoup d'autres), et que je t'inverse maladroitement les phrases pour mettre tel mot devant tel autre et que ça sonne mieux.

OK. Musicalement, Kery James refuse la facilité du son rap pseudo-mélancolique piano/violon, en partie parce que l'Islam lui interdit l'usage de tels instruments. Mais c'est pour mieux adopter ce qui est en passe de devenir un nouveau poncif hip hop depuis Bisso na Bisso et la collaboration de Common avec le fils Kuti : les beats world music, latins ("Parce que") ou plus souvent africains. Tiens, d'ailleurs Salif Keita vient représenter ici le Continent Noir et chanter pour les jeunes blacks en perdition ("La Honte"). L'ensemble de l'album est bien entendu saupoudré des choeurs soul / nu soul / r'n'b / gospel (à vous de voir) de circonstance. Pour faire comme les grands, Kery James a aussi invité Les Nubians ("Déséquilibre"), parfaitement adaptées à ce genre de registre.

Deuxième écoute : eh, mais non, en fait c'est pas mal du tout ! Voire bon, voire très bon. Certes, Kery James fonce tête baissée sur tous les clichés imaginables, mais il le fait avec application et conviction, en devient touchant à force de sincérité. Et les beats sont finalement d'une musicalité rarement atteinte dans le rap français. Les sonorités africaines de "Des Terres d'Afrique" et de "La Honte" sont tout à fait justes, l'intervention de Salif Keita est pertinente et bienvenue, et les choeurs, loin de se limiter à des "waaaoooiaahh" de branleuses, réinventent une saveur véritablement soul, avec même parfois un soupçon d'étrangeté qui n'est pas déplaisant.

Cela fonctionne d'autant mieux que Kery James a su concocter un véritable album, avec un début, une fin, et une bonne articulation entre les morceaux. "Deux Issues", par exemple, vient donner une impulsion électronisante au moment idéal, en plein coeur de l'album. Et les deux meilleurs titres sont placés aux endroits les plus adaptés : "Si C'était à Refaire..." au début et l'autobiographique "28 Décembre 1977" (un long récit de son parcours des origines haïtiennes jusqu'à la conversion à l'Islam) à la fin.

Troisième écoute : bon, il faut tout de même raison garder. La thématique "consciente" outrancière n'est pas le seul défaut de Si C'était à Refaire et la sincérité évidente de Kery James ne légitime pas la complaisance maquillée de moralisme avec laquelle il décrit une société apocalyptique. OK, c'est pas la joie les quartiers, mais à l'écouter, ça serait pire que l'Afghanistan ("Cessez le Feu").

Mêmes nuances côté strictement musical. Sans nier la grande force de certains titres, les premiers et le dernier principalement, Si c'Etait à Refaire vire parfois variété inodore et incolore ("Déséquilibre", "C'qui nous Perd", "Soledad"). Cela rend quand même plus du tiers du disque tout à fait dispensable. C'est peut-être pas très génant à l'échelle du rap français, mais dans l'absolu c'est pas encore tout à fait ça.

Quatrième, cinquième, sixième écoutes : considéré comme un tout, Si c'Etait à Refaire est un album raisonnablement bon.