Ty traîne ses guêtres sur la scène anglaise depuis un moment déjà, seul ou en compagnie de Shortee Blitz. Adepte de la face positive et rayonnante du hip hop, et fort de sa voix chaude, il a sorti récemment, un premier album, Awkward, première bonne surprise de l'année 2001. Rencontré lors de son passage en France fin Janvier 2001, il nous livre sur un ton affable et paternel son avis sur la bonne santé actuelle du hip hop anglais, sur l'internationalisation du rap et sur ses propres ambitions.

Ma première question concerne le statut du hip hop anglais en ce moment. Il semble connaître un nouvel âge d'or. En es-tu fier ?

Oui, j'en suis fier. On essaie juste de nous développer, d'évoluer et de faire en sorte que ce que nous produisons est bon. Donc, ce qui se passe en ce moment est plutôt bien, mais ça n'est pas tellement une amélioration dans le bon hip hop, c'est surtout que plus de gens se mettent à l'écouter. Ils y prêtent plus d'attention. Nous ce qu'on essaye de faire, et c'est ce qui importe, c'est de s'assurer que nos disques sortent, que des concerts soient organisés, qu'on fasse le plus de trucs possible, et qu'on s'assure que les gens qui nous écoutent continuent à nous soutenir.

Donc tu penses que c'est plus une question de public que d'artistes ? Les artistes, eux, ont toujours existé.

Ah oui, ils ont toujours existé. La plupart de ceux que l'on voit aujourd'hui existent depuis longtemps. C'est juste qu'on est arrivé au bon moment.

On a eu un débat il y a quelques jours sur notre forum web à propos du hip hop anglais. Certains dissocient deux camps : un très traditionnel, avec des gens qui sonnent très US comme les Creators, et un plus expérimental.

Je dirais que ce qui est traditionnel, c'est ce qu'on décide de classifier comme tel. Ce que font les Creators, ça n'est pas du "traditionnel". C'est juste des types qui font leur musique, et font venir des américains pour rapper dessus. Ce qui est cool. Je n'ai rien contre ça. Dire ça, c'est une attaque contre nous, on sonne forcément expérimental, vu que les américains sont la norme. Tu vois ce que je veux dire ? Mais quand tu fais ça tous les jours, bosser, rapper organiser des sessions. Quand tu fais du b-boying, de la breakdance... Tu sais, on s'entraide tous, on n'essaye pas d'être expérimentaux, mais d'être nous. Après ça... En fait, je pense qu'il y a deux formats différents. Le format des producteurs Dynamic Syncopation, The Nextmen, Unsung Heroes, The Creators, des trucs comme ça. Puis il y a des albums comme ceux de Roots Manuva, New Flesh for Old, Black Twang, Lewis Parker... Tu vois, ce genre de choses. Champions of Nature, Krispy. Certains sont des albums menés par des producteurs, d'autres des albums menés par des artistes.

A propos, pourquoi avoir choisi Big Dada ?

J'ai choisi Big Dada parce que je peux leur faire confiance. Ils vont sortir mes albums, ils vont s'assurer qu'il y ait une bonne promo. Quand ils disent qu'ils sortent un album, ils le sortent. C'est vraiment la chose la plus importante. A côté il y a des labels qui disent sortir des albums et ne le font pas, prétendent les distribuer et ne le font pas. Mais Big Dada et Ninja Tune ont une réputation solide de sortir leurs albums. C'est la raison principale.

Big Dada appartient à Ninja Tune...

...qui sont expérimentaux.

Oui. En France tout du moins (je ne sais pas pour le UK), ils sont mieux connus des fans de musiques électroniques que d'autres gens.

Je n'ai fait mon choix qu'en fonction de la musique que je fais, pas en fonction de la conception des gens. Ce que je fais, c'est là-dessus que les gens vont se concentrer. Et ce que je fais, c'est du hip hop. Les gens ne seront pas décontenancés par mon album. Je ne pense pas que les gens vont décider de ce qu'ils achètent ou pas en fonction d'un label. Es-tu un suiveur ou es-tu un vrai fan ? Parce que le fan, lui, sait.

J'ai une autre question. Tu es aussi signé sur un label US avec ton comparse, euh...

Blitz Shortee.

Oui. Sur le label de Maceo (là, ayant prononcé Maceo à la française, Ty ne voit pas bien où je veux en venir). Comment t'es-tu retrouvé dessus ?

Tout a commencé en Allemagne, où ils m'ont vu pour la première fois. Puis ils sont venus à Londres, où je les ai rencontrés. A mon tour, je les ai vu en allant à New-York, j'ai traîné avec eux et vu ce qu'il se passait. Ils semblaient décidés, Maceo semblait décidé à signer quelqu'un du UK sur leur label. En fait, ils le démarrent tout juste, et pour commencer, ils doivent se concentrer sur qui ils signent. Mais je ne pense pas que tu verras mon nom chez eux avant longtemps, parce que là, je me réserve pour mes autres projets.

Bon, une autre question pas du tout originale : pourquoi ce nom à ton album ? Ce n'est pas vraiment un nom hip hop (awkward = maladroit).

C'est pas un nom hip hop mais nous, les artistes, c'est à nous de décider ce qui est hip hop ou non. Comme si tout le monde devait faire un album dans une perspective new-yorkaise... Là, ça n'est pas le cas. Tout ce que j'ai vécu me pousse à faire du hip hop de la façon dont je le fais. Ma voix est unique. Tout ce qu'il faut, c'est avoir une voix, c'est important. Si je veux qu'elle soit musicale, ma voix est musicale. Si je veux qu'elle soit hardcore, ma voix est hardcore. C'est moi qui prend la décision. Je pense que les gens doivent commencer à être plus expérimentaux. Par expérimentaux, je veux dire tenter des formes artistiques, parce que le hip hop se meurt. Il tourne en rond. C'est comme si on ne pouvait rien faire de plus. Et je pense que la nouvelle phase pour faire évoluer le hip hop, même si tout le monde n'est sûrement pas d'accord, c'est qu'il devienne international. Maintenant, tu regardes TTC de la même façon que tu me regardes, que tu regardes IAM, que tu regardes NTM, ou Saïan Supa Crew. Nous devons devenir internationaux.

J'ai déjà l'impression que cette scène hip hop internationale prend de l'ampleur.

Oui, mais c'est encore en devenir. Tu sais, on l'espère tous, quand on écoute la musique d'autres pays. Mais la musique américaine est encore la numéro un, comme si elle était la seule. Tout le reste est secondaire. Il faut faire de la scène, il faut se porter devant le public de masse pour qu'il reconnaisse qu'un groupe français est aussi bon qu'un groupe américain, qu'un groupe anglais est aussi bon qu'un groupe américain. Pour cela, nous devons accomplir des tournées internationales. Faisons-le.

Tu as mentionné TTC il y a un petit moment. Ce sont les seuls artistes français signés sur Big Dada...

Je les connaissais avant qu'ils soient signés.

Et quelle est ton opinion sur eux ?

Je pense qu'ils sont originaux. Je pense qu'ils ont quelque chose à dire. Tu sais, j'aime la substance, j'aime quand les gens ont quelque chose à dire. Et tu as la voix de Teki Latex. Teki sait prendre une voix très originale, je n'ai jamais entendu de voix comme celle-là, à part peut-être Quasimoto. Ils ont une vibe. D'ailleurs, l'une des choses que j'ai voulu dire avec mon album Awkward... (il passe du coq à l'âne et revient sur une question précédente) en fait, dès que tu n'appartiens pas à un tel label, ou dès que tu ne rentres pas dans telle catégorie musicale, alors tu es classé comme "alternatif". Mais en fait, ça n'a pas jamais été comme ça avant. Si tu prends Big Daddy Kane, et Rakim, KRS 1, ces gens là n'existeraient pas sur la scène d'aujourd'hui si les gens avaient pensé en terme de catégorie. Tu as eu les Brand Nubians, Pete Rock & CL Smooth, tu avais toute une série de styles différents. Tu avais Onyx, tu avais des groupes très hardcore comme NWA, ou des trucs plus calmes comme De La Soul. Et aujourd'hui, ça n'est plus le cas. Alors moi, je me sens "awkward", parce qu'on me dit que ce que je fais, c'est différent de ce que fait... voyons... un autre groupe. Tu vois qui je veux dire. Disons... Tous ces groupes qui sont hardcore et parlent de fumer de la weed, baiser des meufs. Quand tu parles de ça, tu es hip hop. Et parce que je ne le fais pas, on dit que je suis "conscient" ou "politique". Non ! C'est ce que j'essaie de dire avec le mot "awkward", parce qu'à la base, le hip hop dépend de ta perception originale, à toi. De ce que tu peux donner au monde. C'est ce que je veux faire, et ce c'est que je fais. C'est ce que je veux dire avec "awkward". La première réaction des gens à propos de "awkward", c'est que ça a une connotation négative. Mon "awkward", c'est du "awkward" positif. C'est comme (il prend nos verres et les déplace sur la table), tu vois ces verres sur la table. Ca te semble n'importe quoi, mais peut-être le problème vient de la table. Il y a deux façons d'être "awkward", deux façons de lire les choses.

Jusqu'ici, je n'ai pu écouter que ton premier single. J'ai lu pas mal de critiques à son propos, et j'ai vu deux noms revenir souvent. J'aimerais que tu me dises si ces noms sont pertinents. Le premier nom, c'est à propos du son, certaines personnes l'ont comparé à Jay Dee.

Quoi (furieux) ? La musique ressemble à Jay Dee ? Ma musique (ses yeux lancent des éclairs) ?

Ce n'est pas mon opinion, c'est ce que j'ai lu.

Oh, où as-tu lu ça, dans un magazine français ou anglais ?

Euh, en fait, principalement des webzines en anglais...

Ah, ça ressemble à Jay Dee ! Laisse moi te dire ce que c'est que ça. C'est le vieux truc des catégories. Parce que je ne rappe pas à propos de buter des gens, parce que je ne suis pas un thug, parce que je ne parle pas de politique, la seule catégorie que les gens trouvent c'est Tribe Called Quest, De La Soul. Mais si tu examines la musique, si tu regardes ce que je fais, et ce que Tribe a fait, ça ne se ressemble pas du tout. Du tout. Mais dès que les journalistes se penchent sur la question, ils font tout pour trouver une catégorie où me mettre. Mais si t'écoutes The Low End Theory, Midnight Marauders et là vibe derrière, tu vois que ça n'a aucun rapport. Ils m'ont mis dans la même catégorie que Tribe et De La Soul parce qu'il n'y a personne d'autre comme moi. Laisse moi te poser une question. Qu'as-tu écouté d'autre qui ressemble à MOI ?

Euh, personne.

C'est exactement ça. Et c'est avec ça que Londres a un problème. Ils ne peuvent pas se passer des catégories. Tu es De La Soul ! Tribe !

L'autre nom, c'est quelqu'un de très différent. Il s'agit de Gill Scott Heron.

OK. Je vois pourquoi. Parce que c'est musical. Parce que c'est assez laid back. Je prends ça comme un compliment. Je viens juste de t'expliquer que la raison pour laquelle ils font ça, c'est qu'ils ne peuvent pas se passer de catégories.

Oui, mais il faut bien qu'ils donnent une idée de la musique qu'ils décrivent.

Oui. C'est vrai, mais laisse moi te dire quelque chose. Sur l'album, j'essaie plusieurs idées, plusieurs trucs, comme sur 'Nonsense' j'essaie différents tempos. Ca n'est pas seulement 1-2-3-4 (rapidement). C'est plutôt 1-2-3-4 (lentement) 1-2-3-4-5-6. Du nouveau, quelque chose de frais. Ailleurs, je mets plus de percussions. J'essaie des trucs nouveaux. On joue nos propres trucs et après on les sample. Ainsi, "Break the Lock" a un aspect live. Ca fait des tas de trucs différents. Mais les gens ne font même pas attention à ça.

Tu as mentionné TTC, tu connais d'autres groupes Français ?

Evidemment, il y a le Saian Supa Crew, je les ai rencontré auparavant. Et il y a... Bien sûr il y a NTM. Et IAM. Je ne sais pas s'ils existent encore. Et puis tous les MC's que je rencontre. Pendant mes shows. Car à chacun de mes shows j'essaie de les faire monter sur scène. Et Frenchie Cougar.

Ma dernière question est toujours sur la France. Es-tu conscient que la plupart des Français ne comprendront pas tes lyrics, et quel est ton avis là-dessus ?

Qu'est ce que je peux y faire ? J'écoute des tas de musiques et des fois, je me contente de la vibe. J'écoute des tas de disques sud-africains, j'écoute des tas de disques en espagnol, latino-américains. Et j'en aime la musique. Et même avec mon album, tu as toujours une vibe, même si tu ne captes pas ce que je dis. D'autant plus qu'il n'y a pas tant de gens que ça qui pratiquent ce type de hip hop.

Un message ou une déclaration pour terminer cette interview ?

Soutenez les artistes internationaux.

Le magnétophone est éteint. Ty profite que le "Respiration" de Black Star passe en fond sonore pour me signaler qu'il était dans le studio avec Mos Def quand ce dernier a enregistré "Umi Says". On s'apprête à se quitter quand le rappeur se souvient soudainement avoir oublié de mentionner quelque chose.

Oui, je suis aussi impliqué dans quelque chose qui s'appelle le Lyrical Lounge avec DJ Pogo. Je suis sur le prochain album de Krispy. Un album de 6 plages. Sur l'album des Unsung Heroes aussi, Unleashed. Sur l'album des Nextmen, Amongst the Madness. Je suis aussi sur le remix UK du "Down for the count" de Hi-Tek et Talib Kweli.

Je ne savais même pas que ça existait.

Si. Jette une oreille à ça.